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et menacé d’arrestation au premier pas qu’il eût fait sur le sol français, était plus dangereux que Montespan, dans sa province, et libre, après tout, de revenir troubler la possession du roi jusque (dans Versailles. M. Lair est, j’imagine, plus voisin de la vérité quand il note ailleurs l’insensible accoutumance de La Vallière à son titre, à ses honneurs, à ses privilèges de duchesse, le goût qu’elle avait pris depuis tantôt dix ans à la vie de cour, large, bruyante, fastueuse, à ces fêtes, à ces déplacemens, à tout ce train enfin de luxe et de représentation qui commençait à faire de la cour du grand roi le modèle de toutes les autres. Et quand elle s’enfuyait à Chaillot, c’était sans doute quand son cœur, trop plein, débordait, et que quelque courtisan de son impérieuse rivale, ou peut-être sa rivale elle-même, ou le roi, qui semble avoir, en tout ceci, manqué cruellement de délicatesse, lui rappelait trop durement ce qu’elle avait été jadis et lui faisait sentir, dans le tourbillon même du monde, la vérité de la parole qu’un jour de sa profession elle entendra tomber des lèvres de Bossuet : « Qu’avons-nous vu, et que voyons-nous, ? Quel état ! et quel état ! » Hier encore la maîtresse aimée du prince, aujourd’hui l’humble suivante et, comme dit Mme de Caylus, presque la femme de chambre de Mme de Montespan ! Il y eut évidemment, dans cette âme tendre qui bientôt allait expier ses faiblesses d’un jour par trente-six ans d’austérités monacales, un moment de condescendance au monde, si je puis dire, et de résignation vulgaire à la fortune que les circonstances lui avaient faite. Livrée à elle-même, je crains qu’elle eût continué de vivre à la cour et de vieillir obscurément dans la foule nombreuse des sultanes disgraciées. L’amitié d’un honnête homme la préserva de cette fin banale.

Au nombre des rares amis de La Vallière se trouvait l’un des amis et correspondans de Bossuet, Gigault de Bellefonds, maréchal de France. C’était lui déjà qu’en 1671 Louise de La Vallière avait chargé de faire accepter au roi les raisons de sa fuite d’un jour. En 1672, il fut brusquement disgracié, non pas, comme je vois que le racontent quelques éditeurs de Bossuet, pour avoir combattu et remporté je ne sais quelle victoire malgré la défense de son général, — on l’aura confondu sans doute avec l’un des Fabius et ce général avec Papirius, — mais bien pour avoir, étant lui-même maréchal de France, refusé de servir sous les ordres de Turenne. Ce fut lui qui mit La Vallière aux mains du P. César, carme déchaussé, directeur alors en renom, « bon ouvrier pour les consciences délabrées, » comme l’appelle Bussy-Rabutin, un jour que le père venait de lui faire restituer 100 pistoles. Ce fut lui qui la mit en rapport avec les grandes carmélites, où l’une de ses propres tantes, la mère Agnès de Bellefonds, était prieure. Enfin ce fut lui qui lui conseilla, quand le temps fut venu de prendre l’irrévocable résolution, de recourir aux conseils de Bossuet. « J’ai vu M. de Condom, écrit-elle au maréchal, le 21 novembre 1673 ; je lui ai ouvert mon