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avons depuis plusieurs années recherché la dame Gabrielle d’Estrées, eu égard « aux grandes qualités tant de l’esprit que du corps qui se trouvent en elle ; » et voici qu’un fils nous est né, que nous allons reconnaître et légitimer, si vous le voulez bien. Comparez maintenant le préambule des lettres de 1665, et vous verrez si M. Lair a raison d’en faire observer la réserve, de noter qu’à la veille de partir pour la Flandre Louis XIV, en tâchant de pourvoir au sort de la mère et de l’enfant, ne fait guère qu’accomplir timidement un devoir de conscience et d’ajouter, en ce qui touche La Vallière, que cette précaution même de Louis XIV prouve qu’il a cessé d’aimer.

Fixons les dates. Vous pouvez lire partout une anecdote que je laisse conter à Sainte-Beuve. Elle se rapporte précisément à l’été de 1667. « La reine et les dames allaient faire visite au roi, qui était au camp de Flandre. Mlle de La Vallière… arriva sans être mandée par la reine et presque malgré elle. Quand on fut en vue du camp, malgré la défense expresse que la reine avait faite que personne ne la précédât, Mlle de La Vallière n’y put tenir et elle fit courir son carrosse à toute bride à travers champs, tout droit au lieu où elle croyait trouver le roi… Voilà ce que la modeste La Vallière s’était permis en vue de toute la cour. Tant il est vrai que les plus timides ne le sont plus quand leurs passions sont une fois déchaînées et les emportent. » Eh bien ! non-seulement ce n’est pas cela, mais c’est justement tout le contraire. Cet acte d’audace est si peu l’outrage d’une favorite triomphante à l’épouse légitime dédaignée qu’il est tout au rebours la démarche irréfléchie d’une amante désespérée. Ce n’était pas la reine qui n’avait pas mandé La Vallière près d’elle, c’était le roi qui lui avait interdit de suivre seulement la cour à Compiègne, et d’être là, présente, pour assister à son départ. Et ce n’était pas une maîtresse qui, dans cette journée d’Avesnes, comme on l’appelle dans l’histoire, coupa le carrosse de la reine, c’était une femme grosse de cinq mois, et qui portait un enfant dont Louis XIV avait tout à fait oublié d’assurer le sort. Et ce ne fut pas un amant qui la reçut, mais un maître, alors tout occupé de parader aux yeux d’une autre, et qui ne permit même pas qu’elle se montrât, le soir de ce jour, au cercle de la cour. Sur quoi, notons ce que dit Mademoiselle en ses Mémoires : « Mme de Montespan logeait chez Mme de Montausier, dans une de ses chambres, qui était proche de la chambre du roi, et l’on remarqua qu’à un degré qui était entre deux, où on avait mis une sentinelle, on la vint ôter. Le roi demeurait tout seul à sa chambre, et Mme de Montespan ne suivait point la reine. » Ce langage est assez clair, je pense. Il faut donc dire, pour être vrai, que si, dans cette visite au camp de Flandre, quelqu’un goûta, comme dit Sainte-Beuve, « la joie d’être aimée et préférée, » ce ne fut pas assurément Louise de La Vallière. Son règne venait de finir. Et bien loin que cette