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de manquer à son tour quelques traits d’une physionomie qu’un si grand peintre, — au jugement d’une marquise, il est vrai, très délicate, — n’aurait pas tout à fait attrapée ?

Le mal, au surplus, n’est pas ici bien grand. Le livre de M. Lair est sans doute une biographie de Mlle de La Vallière, mais il est surtout une histoire de la jeunesse de Louis XIV, et j’ajoute, une histoire très neuve. On a tant écrit sur le XVIIe siècle que nous nous flattons volontiers de le connaître, et chaque historien que nous voyons y retourner, nous nous demandons ce qu’il espère donc qu’il en rapportera. C’est qu’au fait tant de gens n’en ont rien rapporté ! Mais lisez ce livre, lisez-le de près et vous verrez combien peu nous connaissons les hommes et les choses qui passent couramment pour nous être le mieux connus. En voulez-vous tout de suite un exemple ? consultez le personnage, conforme à la vérité vraie, que tiennent ici, dans le livre de M. Lair, Anne d’Autriche et Marie-Thérèse, deux nobles femmes s’il en fut, et comparez les portraits, — pour ne pas dire les caricatures, — qu’on nous en a tracés, de la première comme d’une reine galante, et de la seconde comme d’une sotte couronnée. Bien sotte, en effet, n’est-ce pas, celle qui sut souffrir sans étaler publiquement sa souffrance, et qui crut de voir à sa dignité royale de ne pas livrer aux dérisions des courtisans les transports de sa jalousie[1] ? Ce sont de telles retouches, de telles corrections, de tels redressemens de la vérité vraie, si je puis dire, contre la légende, et de l’histoire contre le roman qu’il est curieux de suivre et que nous allons essayer de noter dans le livre de M. Lair.

Tout le monde sait, ou peut apprendre, en ouvrant le premier dictionnaire historique venu, que Louise de la Baume Le Blanc La Vallière naquit en Touraine en 1644. Molle et sensuelle contrée, comme a si bien dit Michel et, où tout le long de la rivière se mirent dans une eau limpide et paresseuse les châteaux des favoris et des favorites de nos rois. On a retrouvé, voici quelques années déjà, dans le petit manoir où la jeune fille passa sa première enfance, et mis en place, au manteau d’une cheminée, cette inscription latine, qu’elle eut douze ou quinze ans sous les yeux et qui, par une singulière coïncidence, raconte si bien sa double destinée : « Ad principem, ut ad ignem, amor indissolutus. Au prince, comme au feu de l’autel, amour indissoluble. » Elle perdit son père de bonne heure. C’était un brave gentilhomme, qui joua son bout de rôle, comme un autre, au temps de la Fronde, et tint fidèlement le parti de la régente. La mère se remaria

  1. L’abbé Duclos, — dans un livra sur Madame de La Vallière et Marie-Thérèse d’Autriche, Paris, 1869, Didier, — avait bien essayé de rendre à cette reine, un peu trop oubliée, de l’histoire, sa physionomie vraie, mais il avait, comme il arrive à tant de biographes, dépassé la juste mesure, et puis le livre a le malheur, pour n’en rien dire de plus, d’être étrangement difficile à lire. Il convenait cependant de le rappeler, comme utile et même comme indispensable à consulter.