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admettre publiquement en partie la gravité de la situation. L’on s’est donc décidé à parler, à discuter, à écrire et à voter surabondamment, mais le résultat est bien, mince et peut se résumer dans le maintien d’un fâcheux statu quo, à peine amélioré.

L’inégalité et la partialité flagrantes subsistent toujours entre le travail industriel protégé et le travail agricole sacrifié à la libre concurrence étrangère.

Qu’a-t-on offert depuis deux ou trois ans aux agriculteurs en compensation des sacrifices et des charges exagérés auxquels on les condamne ? Dans la séance du 26 février 1881 au sénat, l’honorable M. Jobard affirme que le véritable remède aux souffrances de l’agriculture est dans la propagation de l’enseignement agricole. Les cultivateurs souffrent et sont découragés, les intérêts ruraux sont gravement compromis, l’avenir est plus sombre que le présent, quel secours nous offre-t-on ? Un gigantesque programme de dix milliards de travaux publics à exécuter prochainement, c’est-à-dire une grosse fraction de la main-d’œuvre si rare et dix milliards de capital à retirer à l’industrie, à l’agriculture et au commerce pour les consacrer à des entreprises peu lucratives, non indispensables et ne pouvant produire que de lointaines conséquences favorables. On multiplie les moyens de transport, alors que ce sont les produits à transporter et surtout à consommer qu’il faudrait plutôt multiplier, et quand l’agriculture aurait besoin de douzaines de milliards afin de pouvoir consacrer à chaque hectare la somme de capital nécessaire pour tirer partout bon parti de notre sol. Pourtant notre agriculture intérieure devrait être la première à pourvoir ; elle est en fin de compte une entreprise de premier ordre. Par elle vit et travaille une population de vingt-deux millions d’habitans ; ne représente-t-elle pas une valeur de cinquante milliards de capital fixe, et de quatre milliards environ de fonds de roulement annuel, si l’on attribue seulement cent francs de capital d’exploitation en moyenne à chacun des quarante millions d’hectares cultivables de notre territoire ; capital d’exploitation absolument insuffisant d’ailleurs ?

On nous a voté des dégrèvemens, objecte-t-on, l’idée est excellente, mais encore petitement appliquée. C’est une goutte d’eau pour une grande soif. La goutte d’eau fait déborder le vase, comme on le dit ; oui sans doute quand le vase est plein, mais le nôtre est vide et, de plus, chacun ne sait-il pas que le dégrèvement accroît la consommation, qu’en ce cas le revenu de l’impôt diminue peu ou augmente et que le fisc n’y perd guère ?

Et puis, remarquons-le, quand il s’agit de la production du blé, c’est par le dégrèvement des boissons qu’on commence. Est-ce la