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l’Angleterre est parvenue à un summum de richesse et de puissance avec le droit d’aînesse, les substitutions, et une concentration de la propriété indubitablement fort exagérée, contre lesquels s’opère une réaction marquée. D’autre part, la France est arrivée, malgré mille traverses et mille infortunes, à un degré de richesse incroyable en suivant un système de partage égal et de subdivision parcellaire du sol qui dépasse les justes bornes. Dans un pays la grande propriété, dans l’autre la petite propriété, ont produit la richesse, et dans l’Amérique démocratique la grande et immense propriété fait sentir son influence écrasante sur les cours des marchés des deux côtés de l’Atlantique. De ces contradictions il n’y a rien à conclure sinon que la science économique constate et accepte les faits avérés.

Mais pour revenir à la question douanière qui nous occupe, on voit du premier coup d’œil que, sur ce point, la situation de l’Angleterre est claire et que ses intérêts sont évidens ; elle n’a jamais chez elle que la moitié de la nourriture de son peuple, dont l’existence matérielle dépend ainsi du succès ou de l’insuccès de l’échange international ou commerce annuel. Elle se trouverait dans un cruel embarras si, pour une raison ou pour une autre, l’arrivage de cette demi-ration vitale dont elle a impérieusement besoin chaque semaine venait brusquement à manquer.

Les Anglais sont donc absolument obligés d’être libre-échangistes et ne peuvent pas être autre chose jusqu’à nouvel ordre. Dans le jeu de l’Angleterre, c’est le libre échange qui est l’atout et la carte forcée.


III

Si l’Angleterre et les États-Unis sont arrivés à la plus brillante situation économique et financière par des procédés inverses, la France, elle aussi, est parvenue à un point de prospérité remarquable en suivant un troisième système tout différent. Autant la position et les intérêts des États-Unis et de l’Angleterre sont nets et concluans, autant ceux de la France sont confus, contradictoires et difficiles à démêler comme à concilier sur la question douanière. Les États-Unis possèdent toujours un gros surcroît de denrées alimentaires, les Anglais manquent toujours de la moitié environ de leurs subsistances : voici deux faits primordiaux et fixes qui permettent dès l’abord d’asseoir un système permanent sur des bases solides. La situation de la France, au contraire, est notoirement variable et oscillatoire. Tantôt elle produit un surcroît de denrées alimentaires qu’elle demande à exporter ; tantôt elle souffre d’une