Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’abondance ; ces derniers peuvent donc faire ce qu’ils veulent et tout se permettre en fait de douanes sans crainte de voir jamais les principaux marchés étrangers se fermer devant eux. Pour se bien rendre compte de la situation, on n’a qu’à lire la savante monographie de M. Ronna sur les blés en Amérique, ainsi que l’intéressant rapport des délégués anglais, M. Read et M. Pell, envoyés aux États-Unis pour y faire une sérieuse enquête agricole ; ces documens signalent officiellement la puissance de production presque illimitée du territoire américain et canadien.

Dans l’ordre matériel, cette surabondance de vivres constitue une supériorité économique évidente ; quand on est pourvu et assuré de ce côté contre toutes les éventualités, et qu’on se sent maître de la victoire dans la lutte pour l’existence, c’est une grande force nationale et privée.

Les Américains ayant chez eux un vaste superflu d’espace cultivable et de nourriture, se servent d’abord largement eux-mêmes et puis offrent ce qu’il en reste aux affamés du monde entier. Dans les années où les affaires d’exportations agricoles ne marchent pas et où leurs produits naturels leur restent sur les bras, ils ne gagnent pas d’argent, mais ils demeurent en revanche dans l’abondance et le bon marché alimentaires.

Pour l’Angleterre, qui ne produit pas la moitié de ses subsistances, il en est tout autrement. Si elle manque sa campagne régulière d’exportations industrielles et d’importations alimentaires, elle tombe dans la gêne et dans la souffrance en face de ses ballots de tissus et de ses stocks d’instrumens invendus lorsque le marché est momentanément surchargé, et que l’offre surpasse la demande, phénomène économique qui se produit inévitablement de temps à autre. Il en est de même pour les autres peuples qui se trouvent plus ou moins dans une position analogue.

À ces supériorités naturelles ajoutez que les États-Unis n’ont point à supporter l’écrasant fardeau des armées permanentes, du service obligatoire, d’une marine militaire et d’un coûteux entretien de forteresses frontières. De plus, chacun sait combien sont grandes les aptitudes industrielles et inventives des Américains, qui ont l’ambition et la certitude de devenir eux aussi de grands créateurs de produits fabriqués pourvu qu’ils se mettent au début à l’abri de la concurrence des ouvriers européens. Il est donc naturel qu’au nom de tous les intérêts présens et à venir, le régime choisi par ce peuple ait été celui de la protection douanière : elle s’impose d’autant plus que chaque jour le système protectionniste y fait ses preuves de succès et s’adapte on ne peut mieux à un système financier corrélatif qui donne d’admirables résultats. Par cette combinaison, les États-Unis parviennent sans peine à payer et