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de la couronne, par ce duel de déclarations tranchantes publiquement engagé entre deux pouvoirs inflexibles. Jusqu’ici les informations spéciales qui nous étaient nécessaires pour éclairer ces grands débats se sont dérobées à nos recherches : non pas que les documens inédits, officiels ou privés, fassent entièrement défaut sur une période historique de cette importance ; mais sur le point qui nous intéresse, ils sont nuls ou insuffisans. Le procureur Regnaud, auteur de Mémoires manuscrits en trois volumes, raconte longuement, avec une honnête indignation, ce qu’il appelle « la révolution de 1770 ; » mais il ne dit rien des orageuses délibérations qui en forment le prologue et l’avant-scène. Même remarque au sujet d’un Journal secret relatant ce qui s’est passé au palais depuis juillet 1771 jusqu’en avril 1772 : ni ces chroniques particulières, ni les procès-verbaux officiels des séances, déposés aux archives, ne citent in-extenso, ou par fragmens, ou même par des comptes-rendus analytiques, l’expression oratoire des opinions.

Dans le nombre de ces documens qui peuvent offrir à l’historien de l’esprit public quelques faits ignorés et d’utiles indications, mais qui ne sont pour nous d’aucun secours, il en est, du moins, qui prouvent avec quelle impatience de curiosité le monde politique attendait le résultat des discussions parlementaires. Les ministres, les gens en place avaient au palais même, parmi les conseillers, d’officieux correspondans qui, chaque soir, avant de quitter l’assemblée, rédigeaient pour eux et leur expédiaient le bulletin de la séance. Nous connaissons un recueil de ces lettres, intitulé : Nouvelles journalières du parlement. Écrites de 1756 à 1760, elles sont adressées à « M. le marquis de Paulmy, secrétaire d’état, rue de Richelieu », ou à « M. Fromage, secrétaire de M. le marquis ; » quelques-unes contiennent cette recommandation : Garder soigneusement et secrètement.

On y indique, au courant de la plume, les incidens et les bruits du jour, le mouvement des partis, le vote final et l’arrêt adopté. le correspondant, homme timide et fort humble, qui écrit : « Dès que ma santé me le permettra, je désire ardemment vous aller faire ma cour, » ou bien : « Je me suis présenté plusieurs fois à votre porte, sans avoir pu vous faire ma cour, » — ce parlementaire aux gages d’un ministre a le tort grave d’être, sur les points essentiels, laconique et réservé. A peine risque-t-il des réflexions générales qu’il atténue aussitôt et semble retirer-après les avoir exprimées : « Je vous assure qu’il y a un feu souterrain dans le parlement qui fait peine aux, gens sages, et je crains bien que cela n’aille loin ; mais nous sommes dans un temps où de pareilles observations pourroient déplaire au roi, quoique avantageuses au