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Montpellier, Colbert, à l’abbé Pucelle ; il y a là de quoi vous immortaliser. Les années ne diminuent rien ni de votre esprit, ni de votre courage. Vivez, monsieur, pour le bien de votre patrie, pour la consolation de l’église et de vos amis. » Dans son désert de la Chaise-Dieu, l’évêque exilé et dépossédé de Senez, Soanen, n’était pas moins ardent à applaudir le grand orateur : « Les intérêts de Dieu et de l’état demanderoient, monsieur, que vous fussiez immortel ; quel deuil dans l’église lorsque votre bouche sera fermée pour sa défense ! » Paris, qui a toujours aimé le talent et la sincérité, lui faisait des ovations. Dès que la foule l’apercevait aux abords du palais ou dans la salle des Pas-Perdus, « on claquoit des mains, dit Barbier, on poussoit des cris d’applaudissement, en sorte qu’il se cachoit le visage par modestie. » Un jour, le maréchal de Villars vint au parlement en grand appareil tout exprès, disait-il, « pour voir et entendre le célèbre abbé Pucelle. » Les douze portraits gravés de cet abbé qui sont dans la collection des estampes ne démentent pas l’idée que les récits contemporains et la lecture de ses discours nous donnent de sa puissance oratoire. Le front est large, la figure forte et comme illuminée par l’inspiration ; les yeux sont vifs et perçans, la bouche petite, les lèvres fines et serrées ; tout dénote la vigueur et respire l’intelligence.

Quand Barbier, d’Argenson, de Luynes, Narbonne, tous ceux qui dans leurs lettres ou leurs chroniques décrivent, au jour le jour, les entraînemens et la changeante humeur de l’esprit du siècle, viennent nous dire, à propos de ces questions débattues au parlement : « Le gros de Paris en est entêté, les plus honnêtes gens en sont occupés au point de ne pas dormir ; les femmes, femmelettes et jusqu’aux femmes de chambre s’y feraient hacher ; » combien leur témoignage, si digne de foi, n’est-il pas fortifié par le spectacle même de ces débats, par la parole des orateurs qui retracent les désordres d’une situation troublée ? N’est-ce pas là un supplément d’informations aussi utile qu’intéressant à consulter ? « Depuis qu’elle a été reçue en France, cette bulle funeste, disait en 1731 l’abbé Pucelle, une enceinte de maux nous environne de toutes parts ; toutes les sources du bien sont fermées, toutes les écoles corrompues : qu’est devenue la Sorbonne, d’où l’on a exclu cent docteurs les plus savans et les plus attachés aux maximes du royaume ? Qu’est devenue la célèbre maison de Sainte-Barbe, qui a fourni tant de sujets d’élite à l’église et à l’état ? Elle a été détruite avec l’appareil effrayant d’un lieutenant de police escorté de quarante exempts. On s’était flatté de l’espoir que les maximes de la cour de Rome ne pénétreraient point en France. Quelle illusion trompeuse ! Ne sait-on donc pas qu’une multitude de moines qui inondent le