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comme magistrat : « Messieurs, dit-il, j’en prends à témoin ce lieu où j’ai juré, devant Dieu et le parlement, fidélité au prince, aux lois du royaume et aux obligations sacrées de la justice ; quelque honneur que je ressente de siéger au milieu de vous, je déplore le jour où je suis entré dans cette compagnie. Oui, ma douleur est extrême lorsque, songeant aux engagemens que j’ai pris, je me reconnais incapable de concilier les sermens les plus saints avec l’obéissance nouvelle qu’on nous demande aujourd’hui. Quoi ! messieurs, voir de cette place où nous sommes le feu s’allumer de toutes parts, gagner le palais et le trône de nos rois, et ne pouvoir agir contre les incendiaires, mais même ne pouvoir être écoutés sur les moyens de l’éteindre ! Voir au pied de ce tribunal des communautés dispersées, des particuliers dépouillés, des vivans, des mourans réclamer la protection des lois dont nous sommes les dépositaires, et ne pouvoir leur tendre la main pour les secourir ! Nous voir par là inutiles au service du roi, à celui de l’état, déshonorés, dégradés, anéantis, car c’est ôter l’être à une compagnie que de lui défendre de délibérer, c’est séparer l’âme du corps, c’est la forcer à trahir ses obligations. Les ministres nous promettent la paix et nous convient à l’observer : mais qu’est-ce donc que cette paix toujours annoncée et dont on s’éloigne plus que jamais au moment où on nous la promet ? Qu’est-il arrivé à ceux qu’on a proscrits, dépouillés, persécutés ? A peine ces malheureux ont-ils trouvé des défenseurs qu’aussitôt leurs avocats sont traités de criminels de lèse-majesté, d’hérétiques et de schismatiques. Et nous-mêmes, messieurs, avons-nous un jour réuni dans un arrêt les maximes fondamentales de l’état, aussitôt le conseil du roi nous en fait un crime imaginaire ; on nous juge, on nous condamne sans nous entendre ; si nous faisons des efforts pour être entendus, on nous interdit, la menace à la bouche, de délibérer. Quelle paix, après cela, veut-on nous laisser entrevoir, sinon celle qu’on n’ose nommer ? Peut-être trouverez-vous que je parle avec trop de vivacité ; mais mon cœur est plein des malheurs de l’état, et si quelque mouvement de crainte ou de complaisance m’avoit affaibli un seul instant sur ce que je crois être mon devoir, je sortirois d’ici avec un remords cruel dans l’âme, qui me rongeroit et troubleroit mon repos jusqu’à mon dernier jour. »

Recueillis par des auditeurs enthousiastes, ces discours se répandaient dans Paris dès le lendemain et s’expédiaient jusqu’au fond des provinces. Les Nouvelles ecclésiastiques, feuille clandestine, insaisissable à la police, en imprimaient de longs fragmens ; par une par voie mystérieuse, ils arrivaient en tous pays aux affidés du parti. « J’ai lu vos derniers discours, écrivait en 1737 l’évêque de