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sous la menace d’un maître nouveau : « Il est temps, messieurs, de faire revivre les nobles exemples de ceux qui nous ont précédés, malgré les violences passées et les sinistres événemens dont il semble que notre fermeté ait été ébranlée. Sacrifions-nous pour le salut d’un peuple réduit au désespoir. »

Ces fiers accens trouvaient de l’écho sous les voûtes de la salle de Saint-Louis. Une ardeur de colère et de haine contre le pouvoir absolu avait gagné tout le monde et formait comme une atmosphère fiévreuse qui enveloppait l’assemblée : on s’enivrait de l’applaudissement public, on s’exaltait à la pensée de souffrir pour la liberté du parlement et la délivrance du peuple. De cette fermentation partaient des mots passionnés, presque tragiques. « Honte à nous ! disait le président Violle, de la quatrième des enquêtes ; nos biens ont passé aux mains d’autrui ; notre maison est la propriété de l’étranger ; opprobrium nostrum possessio nostra ad extraneos, domus nostra ad alienos. Plus que jamais la compagnie a besoin de vigueur et de constance ; nous sommes destinés à vivre en des temps où il faut affermir son âme par des exemples héroïques : in his temporibus nati sumus in quibus necesse est firmare animum potentibus exemplis. » — « Ne nous y trompons pas, messieurs, ajoutait un conseiller de grand’chambre, Deslandes-Payen, nous sommes engagés dans une guerre sans merci ; et si l’on vient à demander des têtes, je sais bien que la mienne ne sera pas oubliée. » Sur tous les bancs éclatait comme une émeute d’opinions, de maximes, de citations contre la « tyrannie. » Les jeunes et les vieux, les requêtes et la grand’chambre rivalisaient d’indépendance et se confondaient dans une commune résolution d’opposer la loi et le parlement à l’arbitraire de cour, à la licence des favoris. Ce sont des républicains, disait Anne d’Autriche.

Le conseiller Pithou, « homme de lettres et beau parleur, » — selon les notes secrètes, — citait ces vers de Pibrac, où respire le libre esprit du XVIe siècle :

Je hais ces mots de puissance absolue,
De plein pouvoir, de propre mouvement…


Le maître des requêtes, Tiersant, dans un discours « fort poly et estudié d’une assez belle manière, » lançait au gouvernement, comme trait de la fin, cette sentence d’Horace : « La force aveugle succombe, accablée sous ses propres excès : Vis consilii expers mole ruit sua. » Le conseiller Machaut accusait les cardinaux de teindre leur pourpre dans le sang des peuples : « Il est certain, messieurs,