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lascheté des courtisans qui élèvent leur pouvoir. Les flatteurs qui assiègent l’oreille des rois, en vue d’accroistre leur fortune, persuadent à ceux-ci qu’il est convenable à leur grandeur d’avoir un principal ministre sur lequel ils se reposent du gouvernement de leur estat en se déchargeant du soin des grandes affaires. Chassons donc une seconde fois cet étranger, puisqu’il est si hardy que de retourner en France malgré vos arrêts. Son ombre seule et sa présence sur la frontière troublent le royaume. Pour moi, je n’ai jamais esté dans les intérêts de Mazarin ; j’étois en posture d’obtenir tout ce que j’aurois voulu, si j’avois consenti à son retour : mais, grâce à Dieu, j’ai tout repoussé. Mon seul dessein est d’être bien venu des peuples et du parlement, sans quoy il est impossible que l’autorité du roy soit conservée. Je tiens ces sentimens du défunt roy, mon auguste père, qui n’avoit de satisfaction parfaite que quand il étoit sûr de posséder le cœur de ses peuples, qui est un grand trésor. » Cette allusion à la mémoire d’Henri IV et l’expression de ce louable désir d’imiter un tel père émurent profondément l’assemblée.

Le talent de la parole qui, en temps de révolution, n’est pas inutile même à un prince du sang, manquait au reste des grands seigneurs engagés dans la fronde. Les Beaufort, les Bouillon, les d’Elbeuf, les Condé et les Conti en étaient absolument dépourvus. Retz a dit de Beaufort, je crois, « qu’il causoit comme une linotte en particulier et qu’il étoit muet comme un poisson en public. » Esprit lourd et court, trivial comme les rues de Paris, il assaisonnait ses conversations de mots empruntés au vocabulaire du peuple : ce roi des Halles, aux longs cheveux blonds, aux traits épais, parlait la langue de ses sujets. Condé et son frère Conti, dans l’assemblée des chambres, jouaient le personnage d’interrupteurs. Incapables de parler et de se taire, ils coupaient la parole d’un ton sec et brusque à tout avis qui choquait leur opinion ; les comptes rendus sont remplis de scènes tumultueuses provoquées par leur insolence. Le vainqueur de Lens et de Rocroi, visiblement déplacé sur ce nouveau champ de bataille où il se présentait « tout botté et éperonné, » au grand scandale des robes longues, jetait autour de lui des regards de colère et de dédain ; quand son tour venait d’opiner, il disait avec hauteur : « Voilà mon sentiment ; le suivra qui voudra. » Le président Violle, de la quatrième des enquêtes, harangueur vigoureux, ayant un jour maltraité la régente et ses ministres, Condé l’arrêta d’une voix fière et émue : « Prenez garde, monsieur, à ce que vous dites ; il ne vous appartient pas de discourir sur des matières de cette importance. » Sans se déconcerter, le président répondit : « Je suis obligé, monseigneur, par le devoir