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sort en jets de lumière. Bordés de longs cils noirs, relevés par l’arc foncé des sourcils, ces yeux lumineux et sourians, remplis d’extase et de bonheur, révèlent tout le mystère de l’amour, toute la magie du sentiment. »

De l’autre côté de la voûte se presse en vaste demi-cercle, une foule immense de héros, de femmes et de saintes, chœur de l’humanité élue qui salue au passage sa reine transfigurée. Dans cette foule ressort la belle Eve, exubérante de vie ; son bras gauche est engagé dans sa chevelure d’or. Elle est si humble, la charmante et grande coupable, qu’on serait tenté de la croire innocente. Elle aussi cherche dans sa sœur divine l’espérance et la rédemption de son âme. D’un geste empressé de sa main droite, elle étend vers Marie la pomme fatale comme pour s’excuser de l’avoir cueillie. — Plus bas, à la hauteur des ouvertures ménagées dans la coupole se tiennent des groupes d’adolescens et de jeunes filles qui desservent les autels érigés en l’honneur de la Vierge. Ils préparent des torchères, brûlent de l’encens et des parfums dans des cassolettes. Une même vague de joie passe, dirait-on, sur ces beaux corps souples et demi-nus. Le charme et l’abandon de leurs attitudes les fait ressembler plutôt aux initiés d’un mystère antique qu’aux desservans d’un culte chrétien. Ils s’appuient les uns sur les autres ou s’enlacent par les épaules, perdus dans leur contemplation ou dans l’ivresse d’un enthousiasme sans frein. — Plus bas, entre les fenêtres, sous les autels où se trouvent les jeunes gens, on aperçoit les énergiques et brunes figures des apôtres. Ces hommes musculeux, aux gestes puissans, expriment tous le regret, la tristesse, le désespoir au départ de la Vierge, car ils ne peuvent la suivre.

Ainsi, par un rapide decrescendo, du sommet au pourtour de la voûte on descend du ciel sur la terre. En haut, les figures ont la légèreté d’êtres aériens qui planent dans l’espace ; en bas, avec les jeunes gens et les apôtres, les corps reprennent la solidité terrestre. On pourrait, à l’inverse, remonter de la base au sommet ; et alors on remarquerait comme un crescendo de grâce et de beauté dans ces masses humaines que le peintre a su soulever dans les airs et qui tournent vers le haut comme des nuages légers. On serait frappé du mouvement cadencé, presque musical, de ces zones palpitantes qui de cercle en cercle aboutissent à la figure centrale. Cette peinture a un accent à part. La hardiesse vertigineuse de l’exécution y égale l’enthousiasme de la pensée. Elle nous donne une sensation analogue à celle des chœurs qui terminent la neuvième symphonie de Beethoven. Ce sont les ondes d’une joie colossale où toutes les joies se mêlent en une sorte de dithyrambe.