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groupes en plâtre qu’il plaçait à distance pour observer tous les jeux du clair-obscur et tous les raccourcis imaginables. — L’église de Saint-Jean a un aspect nu, austère ; il y règne une lumière d’un gris bleuâtre qui sied bien à la vision apocalyptique. Tout sourit par contre dans le dôme. De grandes arcades coupent la nef de lignes harmonieuses, partout des couleurs chaudes mais discrètes viennent caresser l’œil. Plafond, piliers, parois, toute l’église est peinte de haut en bas, et, quand le soleil y plonge, une pénombre rose et pourprée vous enveloppe. Montez l’escalier qui conduit au chœur et levez les yeux vers la voûte à base octogone qui figure le ciel éthéré. Au zénith s’élance comme un oiseau la figure de l’archange Gabriel, dont le raccourci donne l’impression immédiate d’un vol tourbillonnant. Il précède la Vierge pour annoncer son arrivée dans le ciel. Des légions d’anges, d’archanges, de séraphins et de chérubins forment tout autour de la voûte un cortège triomphant. Tous regardent, suivent ou accompagnent une merveille qui monte devant eux.

Cette apparition éblouissante, c’est la Vierge. « Vêtue d’une robe rose et d’un long manteau bleu, les bras étendus, elle flotte dans l’attitude passionnée de l’extase ; la tête renversée, la bouche entr’ouverte, le sourire aux lèvres. Des anges au vol la soutiennent, l’enlèvent dans leurs bras. Ils paraissent emportés tous ensemble d’un souffle égal et puissant comme des nuages d’été dont le vent entraîne les masses changeantes dans les hauteurs de l’éther. La joie qui la transporte répand autour d’elle une atmosphère de bonheur, pénètre dans la céleste phalange comme un parfum subtil et capiteux. Les anges, les archanges surtout en sont pris d’ivresse. Ils s’élancent, se précipitent, se joignent de tous côtés en groupes sourians, animés, gracieux, et se communiquent l’heureuse nouvelle pour s’en réjouir tous ensemble. Quelques-uns arrivent à grande vitesse comme des abeilles qui essaiment. On entend comme une musique de voix, un bruissement d’ailes et d’écharpes légères, un concert mélodieux d’instrumens, qui semble résonner de loin et venir en écho descendant jusqu’à nous. Des anges des deux sexes se rencontrent et se pressent dans une confusion joyeuse. Les uns s’attirent et s’embrassent amoureusement, d’autres échangent un baiser rapide, d’autres partent d’un nouvel essor. C’est un vertige de mouvement aérien, de joie surhumaine. Mais ce qui frappe, étonne et surprend parmi tant de grâce et d’enchantement, c’est la beauté transcendante de Marie, l’heureuse vierge, la bien-aimée de la terre, qui devient ici la reine glorieuse des cieux. L’amour brille dans ses yeux, il colore ses joues, fait rayonner son sourire ravi, allume d’un feu céleste l’éclat passionné de son regard. Jamais de pareils yeux ne furent peints ni rêvés. Le feu dévorant de l’âme en