Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III

Il est temps d’arriver aux deux œuvres capitales où le génie du Corrège se déploie avec une ampleur inattendue et qui le placent au rang des premiers maîtres.

En 1520, les bénédictins de Parme proposèrent à Allegri de peindre la coupole de l’église Saint-Jean. Le peintre, alors âgé de vingt-six ans, demanda quelques mois de réflexion. Son hésitation ne provenait pas seulement de sa modestie naturelle, mais encore de la grandeur du sujet qui s’imposait à lui. Une vision splendide avait traversé son esprit sous une lumière fulgurante ; mais il se demanda si elle était réalisable. Il réfléchit longtemps ; et ce ne fut qu’après avoir mesuré les difficultés de l’entreprise et pesé ses forces qu’il accepta de peindre la coupole et s’y engagea par un contrat formel.

Si on considère dans son ensemble la grande composition de l’église Saint-Jean, on est frappé de l’élévation et de la liberté avec laquelle le maître a conçu son sujet. Laissant de côté toute la partie fantastique et terrible du sombre poème qui clôt le Nouveau-Testament, les archanges sonnant les trompettes du jugement dernier, les coupes de sang, les fléaux et la Mort montée sur son cheval pâle, Allegri fit jaillir son œuvre d’un point lumineux du commencement de l’Apocalypse. Il s’inspira sans doute de ces trois versets : « Regarde, il vient sur les nuées et chacun devra le percevoir,.. et sa figure était comme un soleil qui reluit dans toute sa splendeur… et quand je l’aperçus, je tombai comme mort. » Ce qui frappa le Corrège dans ce passage, ce fut l’idée de la palingénésie universelle à la fin des temps qui se retrouve dans toutes les mythologies, idée par laquelle le prophétisme et le messianisme hébreu se rapprochent de la grande tradition aryenne du progrès par la lumière et de l’éternelle renaissance, le Christ étant devenu le lien vivant entre le monde sémitique et le monde aryen, et par suite un symbole de ralliement pour toute l’humanité. La représentation du Christ transfiguré à la fin des siècles fut pour Allegri une occasion de donner une traduction plastique de la grandeur morale du christianisme par l’apothéose de son fondateur. La lumière de vérité qui apparaît dans le juste conscient et triomphant illumine les apôtres et par eux se communiqué aux docteurs de l’Église, aux sages et aux saints situés plus bas. Telle est l’idée générale de la composition dans toute sa simplicité. La Dispute du saint sacrement de Raphaël au Vatican est une glorification de l’Église