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II

Dans les années suivantes ses progrès furent rapides. Une grande éclaircie s’était faite dans son esprit, l’horizon s’était ouvert, et le souffle de la Grèce avait passé dans l’air. À ce souffle, il s’était senti lui-même, mais il se garda d’imiter les Grecs. Il ne leur emprunta ni un contour ni une attitude. Seulement il avait saisi l’esprit même du beau dans la contemplation de la sculpture antique et dans le sentiment immédiat des mythes païens. Il les laissa repousser en lui-même, en dehors de toute convention, comme des fleurs naturelles de sa pensée. Car la joie intime qui émanait de son cœur l’environnait d’un printemps éternel où l’Olympe se réveilla le sourire aux lèvres. Sa renommée gagnait de proche en proche, et lorsqu’il eut atteint l’âge de vingt-trois ans, il ne demandait qu’à s’essayer dans quelque sujet important du genre mythologique. Chose curieuse, ce fut une abbesse qui lui en procura l’occasion.

C’était une religieuse d’un genre particulier que Jeanne de Plaisance, abbesse du monastère de Saint-Paul, à Parme. Depuis l’an mille, les abbesses de ce couvent étaient suzeraines absolues sur leur domaine, en percevaient tous les impôts et y rendaient même la justice. Peu s’en fallait que ces fières dames ne s’en allassent en guerre, crosse en main, sous la coiffe monacale. Au moins prenaient-elles parti dans les guerres civiles de Parme, tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre. En un mot, les abbesses de Saint-Paul jouissaient sous le voile de tous les privilèges de la royauté et ne reconnaissaient d’autre autorité que celle de Rome. Aussi leur insolence était-elle sans limite. Les habitans de Parme avaient beau porter plainte, le saint-siège avait beau lancer ses décrets, les abbesses narguaient la ville, les évêques et le pape. Jeanne de Plaisance fut la dernière de ces abbesses qui jouirent d’un pouvoir absolu. Car lorsque le pape s’empara de Parme, il mit fin à leur puissance en faisant cloîtrer rigoureusement ce couvent mondain. L’impérieuse Jeanne en mourut de chagrin, mais elle avait eu le temps de jouir de sa jeunesse et de sa liberté. Son premier acte en saisissant la crosse fut de remplacer l’ancien administrateur des biens du couvent, Garimberti, par son parent et ami le marquis Montino della Rosa. De là fureur des Garimberti et querelle des deux familles. Le frère de l’abbesse, César de Plaisance, prit le parti de sa sœur et de della Rosa. Les deux adversaires se jurèrent une haine mortelle. Bref, pour tout dire, le frère et l’ami de l’abbesse firent assassiner Garimberti