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poussait dans les rues désertes parcourues seulement par les charrettes où l’on jetait les morts. Parfois on voyait un cavalier parcourir les rues de Parme, il portait une langue perche au bout de laquelle se trouvait un panier et s’arrêtait çà et là devant les maisons. Des pestiférés se traînaient jusqu’aux fenêtres et lui jetaient des paperasses dans sa corbeille. C’était un notaire qui recueillait ainsi les testamens des mourans. » Une démoralisation terrible succédait à ces invasions fréquentes de la peste. « Dès que le fléau avait épuisé sa rage et que les survivans avaient repris leur vie habituelle, ils se livraient aux plus étranges débordemens. Ce n’étaient plus que danses, banquets et ripailles, où toutes les classes de la population se mêlaient dans une confusion incroyable. Magistrats et militaires, paysans et seigneurs, clercs et laïques se réunissaient pour des fêtes d’un genre nouveau. On s’attablait à d’immenses banquets pour oublier les terreurs de la peste et le rire triomphant de la vie succédait aux claquemens de dents de la mort. On voyait les religieuses déserter leurs monastères pour les promenades et les amusemens mondains. Des abbés vêtus avec luxe, des religieuses en robes traînantes et chatoyantes se promenaient par les rues. Le plus étrange est que des fêtes se donnaient dans les églises. Une chronique parle d’un nombre illimité d’outres de vin qui furent consommées dans l’église des Carmes, à Parme, en une seule nuit. Après ces banquets, on dansait sur les cimetières. Une musique étourdissante à réveiller les morts résonnait sur les dalles funèbres, et la ronde des vivans se déchaînait sur les tombes et surpassait en furie la danse macabre. Puis la guerre reprenait pour telle famille ou tel chef de bande. On se défendait avec fureur dans les rues, dans les maisons hérissées de tours comme des châteaux forts. Un chef succédait à l’autre en rapides alternatives qui n’admettaient ni paix ni trêve. Mais quand le vainqueur d’un parti avait terrassé son adversaire, la populace criait : Viva ! et des fêtes effrénées succédaient à ces combats turbulens, jusqu’à ce que le parti opposé fût redevenu assez fort pour recommencer la lutte. »

Le bourg de Corrège, qui a donné naissance au peintre de ce nom, est situé sur la Lenza, près de Parme, entre Reggio et Modène. Un château fort et une église entourée de quelques masures dans la grande plaine lombarde formèrent le centre de la bourgade en des temps fort reculés. Les comtes de Corrège jouèrent un rôle important dans les guerres du pays. Gilbert de Corrège parvint à la suprématie de Parme vers le milieu du XIIIe siècle comme chef du parti guelfe. Au XIVe, Azzo, l’ami de Pétrarque, fit alliance avec Mastino della Scala, célèbre chef du parti gibelin, et vendit son droit sur Parme au marquis d’Este. Au temps d’Allegri, où nous arrivons, les guerres étaient devenues moins fréquentes et