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et des tombeaux des rois, ne conserve aucun monument d’aucune de ces grandes époques ; quelques sites seulement sont reconnaissables, comme le site du temple dessiné par ses terrasses et portant aujourd’hui l’immense et belle mosquée d’Omar-el-Sakara ; le mont Sion occupé par le couvent des Arméniens et le tombeau de David ; mais ce n’est que l’histoire à la main et avec l’œil du doute que la plupart de ces sites peuvent être assignés avec une certaine précision. Hormis les murs de terrasses sur la vallée de Josaphat, aucune pierre ne porte sa date dans sa forme et dans sa couleur ; tout est en poudre, ou tout est moderne. L’esprit erre incertain sur l’horizon de la ville, sans savoir ou se poser ; mais la ville entière, dessinée par la colline circonscrite qui la porte, par les différentes vallées qui l’enceignent, et surtout par la profonde vallée du Cédron, est un monument auquel l’œil ne peut se tromper : c’est bien là que Sion était assise ; site bizarre et malheureux pour la capitale d’un grand peuple : c’est plutôt la forteresse naturelle d’un petit peuple, chassé de la terre, et se réfugiant avec son temple sur un sol que nul n’a intérêt à lui disputer ; sur les rochers qu’aucunes routes ne peuvent rendre accessibles, dans des vallées sans eau, dans un climat vide et stérile, n’ayant pour horizon que les montagnes calcinées par le feu intérieur des volcans, les montagnes d’Arabie et de Jéricho, et qu’une mer infecte, sans rivage et sans navigation, la Mer-Morte ! » J’aime à m’appuyer sur ce témoignage si conforme à mes propres impressions. N’étant point archéologue, je ne saurais discuter les preuves que l’on a données pour ou contre l’authenticité des lieux où l’on veut retrouver l’empreinte de la vie et de la mort de Jésus ; mais toutes les preuves du monde n’étoufferaient pas les révoltes de l’âme et les objections invincibles du bon sens. Le supplice de Jésus a été un événement ordinaire dans l’histoire de Jérusalem ; au moment où il s’est produit, il a jeté la désolation dans un petit troupeau d’amis et de fidèles, mais la masse du peuple n’y a rien vu qui méritât de frapper sa mémoire. Durant de longues années, comme le dit fort bien Lamartine, les chrétiens furent bannis de la ville ; la ville elle-même fut bouleversée de fond en comble. Il fallut attendre des siècles pour ressaisir, à l’aide de traditions incertaines et de miracles apocryphes, les traces de Jésus. Quelle confiance peut-on avoir en de pareils moyens ? Comment peut-on croire qu’une piété aveugle ait su discerner, au milieu de tant de ruines, les vestiges d’un passé si parfaitement effacé ? Il n’y a pas de doute, en effet, sur Jérusalem elle-même ; lorsqu’on contemple, d’une élévation quelconque, l’ensemble de la ville sainte, si on renonce à s’attacher aux détails, si on laisse ses regards errer à l’aventure sur les murs, les coupoles, les terrasses et les maisons, si on livre son âme aux sensations que ce spectacle