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qui lui était faite ; ailleurs, c’est un rocher blanc sur lequel Marie, en s’envolant vers le ciel, laissa glisser sa ceinture entre les mains de saint Thomas devenu crédule à tous les miracles ; ailleurs encore, c’est une pierre marquant, le lieu où le cortège funèbre de la Vierge fut arrêté par une main impie qui se dessécha immédiatement ; des centaines de stèles, de colonnes, de monumens rappellent des anecdotes de cette valeur historique et morale. Et qu’on ne croie pas que ce soit fini. Outre les faits historiques de la vie de Jésus, n’y a-t-il pas les paraboles que le Sauveur répandait à foison sur un auditoire dont il fallait frapper le cœur par des images, pour toucher l’esprit par des raisons ? Ces délicieuses légendes, universelles comme des contes poétiques, prennent corps, se matérialisent, — qu’on me passe ce vilain mot, — se localisent à Jérusalem. J’ai vu de mes propres yeux la maison du mauvais riche et la salle où se tenait le pauvre Lazare, et, comme je faisais observer au moine qui me les présentait que le mauvais riche et Lazare n’avaient jamais existé que dans l’imagination de Jésus : « Croyez-vous, me dit-il, que l’imagination de Jésus ne valût pas votre sentiment de la réalité ? Ce qu’a inventé le Sauveur a eu une existence plus certaine que ce que vos regards atteignent, que ce que vos mains peuvent toucher. »

A défaut d’autre mérite, ce raisonnement était du moins ingénieux. Il m’a consolé de la maison du mauvais riche. Mais rien n’a pu me consoler de l’accumulation de lieux saints que l’on rencontre au saint-sépulcre. Lamartine lui-même en a été choqué : « Un escalier taillé dans le roc, dit-il, conduit au sommet du Calvaire où les trois croix furent plantées : le calvaire, le tombeau et plusieurs autres sites du drame de la rédemption, se trouvent ainsi accumulés sous le toit d’un seul édifice d’une médiocre étendue ; cela semble peu conforme aux récits des Évangiles, et l’on est loin de s’attendre à trouver le tombeau de Joseph d’Arimathie taillé dans le roc hors des murs de Sion, à cinquante pas du Calvaire, lieu des exécutions ; mais les traditions sont telles et elles ont prévalu. » En dépit des traditions, Lamartine ne peut s’empêcher de douter : « Au sortir de l’église du Saint-Sépulcre, ajoute-t-il, nous suivîmes la voie douloureuse, dont M. de Chateaubriand a donné un si poétique itinéraire. Rien de frappant, rien de constaté, rien de vraisemblable ; des masures de construction moderne, données partout par les moines aux pèlerins pour des vestiges incontestés des diverses stations du Christ. L’œil ne peut avoir même un doute, et toute confiance dans ces traditions locales est détruite d’avance par l’histoire du christianisme, où Jérusalem ne conserva pas pierre sur pierre ; où les chrétiens furent ensuite bannis de la ville pendant de nombreuses années. Jérusalem, à l’exception de ces piscines