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Jésus a subi sa lente agonie dans un jardin rempli d’oliviers, qu’il a été crucifié au Calvaire, mais c’est à nous de trouver sur le mont Sion les arbres qui ont abrité de sublimes faiblesses, de rechercher, sous les débris de Jérusalem, l’emplacement où s’est accompli le plus grand événement de notre histoire et le plus grand sacrifice de l’humanité. L’art, la poésie et la piété s’efforcent depuis des siècles d’imaginer ce qu’on ne leur a pas décrit, et de créer, à côté de la véritable Jérusalem dont la vulgarité froisse les plus nobles instincts, une Jérusalem idéale qui satisfasse tous les besoins de l’esprit et du cœur. Aucun site exact, si beau qu’il soit, ne leur a suffi. Il n’y a pas d’âme religieuse ou simplement poétique qui ne se soit plu à se représenter dans ses rêves le pays de l’évangile, non pas tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être pour répondre à cette vérité supérieure auprès de laquelle la réalité n’est bien souvent qu’erreur et mensonge.

La vue de Jérusalem détruit tout ce travail de l’imagination. Au manque absolu d’informations, qui faisait le charme de l’évangile, succèdent tout à coup une abondance, une précision de détails techniques et topographiques dont on est écœuré. On ne saurait faire un pas sans que quelqu’un vous montre un objet de la passion : voici la colonne de la flagellation, voilà le trou où fut plantée la croix ; ceci vous représente l’endroit précis où Jésus est tombé en portant l’instrument de son supplice ; vous voyez plus loin la plate-forme ou plutôt l’arc de voûte d’où Pilate le montra au peuple ; en un espace de quelques mètres, vous pouvez distinguer le lieu où il a été cloué sur la croix, celui où sa robe a été tirée au sort, celui où son corps fut rendu à sa mère et à ses disciples. On mesure juste les distances pour que vous ne vous trompiez pas d’une coudée. Vous essayez d’errer en rêvant dans les rues de la ville : un moine ou un guide se présente aussitôt pour vous indiquer la maison d’Hérode, le tracé de la voie douloureuse, le berceau de la Vierge, que sais-je ? la grotte où Jésus a sué du sang pendant la nuit douloureuse, le rocher sur lequel dormaient ses disciples tandis qu’il éprouvait cette défaillance divine qui explique et qui justifie toutes les défaillances humaines, la place où le baiser de Judas vint commencer par la trahison les sanglantes horreurs de la passion. Ce n’est pas tout. Non contente d’avoir retrouvé les lieux où se sont produits des événemens réels de la vie de Jésus, la superstition populaire a inventé une foule d’événemens qui ne se sont jamais produits et dont cependant on vous fait voir la place. Tantôt c’est une chapelle où le crâne d’Adam a été déposé ; tantôt c’est l’empreinte des pieds de Jésus qui, poussé brusquement par la soldatesque, tomba, dit-on, dans les eaux glacées du Cédron, mais non sans imprimer sur la rive le témoignage de la violence