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L’archéologue, au contraire, n’en finirait jamais d’étudier les murs, les souterrains, les constructions de toutes sortes de cette ville étrange. Bien des problèmes ont été résolus à l’aide de ces témoignages du passé ; combien, cependant, n’en reste-t-il point à résoudre ? Lorsqu’on monte sur une des nombreuses tourelles qui dominent les maisons de Jérusalem, le coup d’œil général est encore d’une monotonie profonde. Figurez-vous une série de plates-formes blanchies entrecoupées de coupoles également blanches ou de maisons d’un gris clair que le soleil rend aveuglant. C’est à peine si, de loin en loin, la tête de quelque arbre rabougri fait apparaître un peu de verdure terne au milieu de ces colorations monotones. Les vieux murs de la ville produisent seuls un effet pittoresque. La coupole du saint-sépulcre, vue ainsi de haut, ressemble assez à celle d’une halle ou d’une gare de chemin de fer ; en revanche, la coupole de la mosquée d’Omar est d’une élégance ravissante. Dès qu’on redescend dans les rues, on rentre dans l’obscurité : des passages voûtés, sales, noirâtres servent de bazar. Les marchands sont affreux, les marchandises sans couleur, Jérusalem n’a rien de ce charme lumineux de certaines villes d’Orient, qui séduit l’âme autant que les yeux, et qui lui laisse le plus brillant souvenir.

Mais ce qui rend surtout pénibles les sensations que fait éprouver Jérusalem, ce sont précisément les innombrables sanctuaires, les milliers de lieux saints qu’on y va visiter. La grande poésie de l’évangile réside dans l’espèce de vague, et, s’il m’est permis de parler ainsi, dans l’indétermination qui semble planer sur ses récits. Tout y flotte un peu au hasard dans le temps et dans l’espace ; rien n’y a le contour de la réalité matérielle, ainsi qu’il convient à une histoire surnaturelle qui doit appartenir à l’humanité tout entière, non à une époque et à un pays ; aucune date fixe, aucun sens bien précis n’y vient comprimer l’imagination dans ses élans et dans ses fantaisies. On y assiste réellement à une existence divine se déroulant avec une entière liberté, avec une insouciance complète des choses terrestres. Jamais le narrateur ne songe à nous dire quel jour se sont passés les faits qu’il rapporte ; encore moins s’avise-t-il de nous montrer le théâtre des scènes qu’il expose à nos yeux. En ce temps-là, alors, peu après, cependant, voilà les seuls renseignemens que l’évangile nous fournit sur la chronologie de la vie de Jésus. Pour les lieux où les péripéties de sa vie se sont produites, les indications sont plus faibles encore. Nous savons que tel discours a été prononcé sur la montagne, que telle parole a été dite au bord du sentier, mais on nous laisse à choisir la montagne et le sentier dans une contrée où on les compte par milliers. On nous apprend que