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Jérusalem, descendent de cheval et entonnent avec un enthousiasme de commande le psaume CXXI. Que le spectacle qu’ils ont sous les yeux les inspire ou non, peu importe ! Ils doivent se sentir très émus en présence du Cabaret du Jourdain et de l’église russe. Je me rappelle cependant que, dans la caravane de pèlerins qui venait d’arriver à Jérusalem en même temps que moi, se trouvait une grosse vieille fille du caractère le plus divertissant, que ses compagnons de pèlerinage nommaient familièrement Nana. Elle leur avait raconté un jour qu’elle était connue à Paris dans son quartier sous le nom de Rocambole, et on lui avait fait aussitôt remarquer que c’était se montrer fort en retard sur le roman moderne et que la loi du progrès l’obligeait à s’appeler désormais Nana. Elle avait accepté ce second baptême aussi naïvement que le premier. Nana maniait assez mal son cheval, ayant des formes un peu trop massives et arrondies pour l’équitation. Aussi, au moment où tous les autres pèlerins, saisis d’émotion à la vue de Jérusalem qu’ils ne voyaient pas, arrêtaient leurs montures pour se jeter la face contre terre, le cheval de Nana continuait impassiblement sa route. « Arrêtez donc cette bête ! criait la malheureuse fille au désespoir, vous voyez bien qu’elle ne comprend pas ! » Faut-il l’avouer ? j’ai fait comme le cheval de Nana. En arrivant à Jérusalem, je n’ai pas compris. Hélas ! plût au ciel que cette déception eût été la dernière que je fusse destiné à éprouver dans cette ville où tant d’autres, plus heureux que moi, ont vu se réaliser tous leurs rêves et ont éprouvé un éblouissement divin !


III. — JÉRUSALEM.

Le premier aspect de Jérusalem n’efface pas l’impression première qu’on a éprouvée en approchant de la ville. Pour se rendre à la Casa-Nova, le couvent des Franciscains, dont la résidence est bien préférable à celle des hôtels, on traverse une série de rues étroites, mal pavées, où le pied des chevaux glisse à chaque pas. Comme ces rues sont presque toutes en pente, on n’y marche qu’avec une extrême difficulté. Celles qui avoisinent le marché ont assez d’animation ; les autres sont solitaires et paraissent enveloppées de tristesse. On peut se promener longtemps à Jérusalem sans rencontrer un seul monument qui repose les yeux, un seul objet qui les séduise. A part la mosquée d’Omar, qui est marquante, et le saint-sépulcre, dont quelques parties sont remarquables ; à part le Haram-esch-Chérif tout entier, dont les ruines ont un grand intérêt, l’artiste y trouve bien peu de chose à admirer. Quelques portes curieuses, quelques débris d’architecture qui présentent d’ingénieuses combinaisons de styles frappent seuls les regards.