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vue s’étend sur la campagne endormie. En plein jour, toute la plaine de Sâron, cette sorte de Limagne de la Palestine, chargée de fleurs et de moissons, apparaît dans sa splendeur. Mais les sites d’Orient sont plus beaux encore dans les nuits lumineuses qu’au moment où les rayons du soleil les brûlent et les colorent. En Occident, même dans les plus belles soirées d’été, le ciel est obscur ; en Orient, il est parfois aussi bleu à minuit que sous nos climats en plein midi. Près de la tour des Quarante-Martyrs, un grand souterrain, recouvert d’une voûte qui repose sur une rangée de piliers carrés, présente l’aspect d’une crypte d’église ; des portiques délabrés, parsemés de figuiers sauvages, à demi ensevelis sous les cactus, apparaissent çà et là. La tour s’élève puissante et sombre au milieu de ces débris de construction dont il n’est pas très facile de savoir quel était l’usage, cloître, église ou citerne ; ces monumens détruits, dont un seul reste debout, produisent dans la clarté mystérieuse de la nuit une impression saisissante : n’est-ce pas l’image de l’âme humaine lorsque toutes les illusions et peut-être toutes les croyances de la jeunesse, brisées par la vie, n’y ont plus laissé que de légères traces parmi lesquelles une seule pensée, un seul sentiment subsiste encore, mais triste et ruiné comme tout ce qui n’est pas soutenu par l’espérance ? C’est à travers des rangées de cactus qu’on rentre au couvent des franciscains ; les cactus de Syrie sont de vrais arbres, aux troncs puissans, aux feuilles larges, sous lesquels les piétons sont ensevelis et dont on atteint à peine la cime à cheval ou en voiture. Le couvent des franciscains de Ramleh en est environné de toutes parts. Je ne sais si c’est à cause de cet encadrement, mais de tous les couvens que j’ai habités en Palestine, — et j’en ai habité un bien grand nombre, — c’est celui qui m’a paru le plus pittoresque et qui m’a reporté le mieux en plein moyen âge. Ses cours étroites, ses passages voûtés, ses plates-formes, ses coupoles, ses corridors sombres où l’on voyait glisser sans cesse des ombres de moines, m’ont produit un effet des plus romanesques. Tous les souvenirs de Walter Scott, qui avaient déjà hanté mon imagination à Jaffa, se sont réveillés dans mon esprit avec plus de vivacité encore. Comme j’errais à travers le labyrinthe du monastère, regardant les chevaux attachés dans la cour, les Arabes endormis sous leurs couvertures de laine, les pèlerins curieux allant, comme moi, à la découverte, des chants religieux frappèrent mon oreille. C’était l’office du soir qui se célébrait dans la chapelle du couvent. Je ne saurais dire combien j’ai eu de peine à trouver cette chapelle. Guidé uniquement par les sons qui m’arrivaient, je me perdais au milieu de corridors et de cloîtres qui semblaient ne conduire à rien. Enfin je finis par tomber dans une petite salle, très basse, à peine large de 2 ou 3 mètres, au bout de laquelle