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générale. Tandis que les autres puissances font des sacrifices considérables pour établir dans ce pays une influence qui n’y existe pas, c’est à peine si nous continuons à soutenir très faiblement les institutions françaises qui ont établi notre influence. Je parle du gouvernement ; car les particuliers, par un singulier hasard, se montrent ici d’une générosité et d’une initiative qui ne sont guère dans nos habitudes. M. Guimet n’est pas le seul qui, soit par conviction religieuse, soit par tout autre sentiment, dépense une partie de sa fortune à créer en Palestine des œuvres françaises. J’aurai souvent, Dieu merci ! l’occasion de constater que son exemple a été suivi. Mais, dès mon arrivée à Jaffa, l’aspect monumental de l’hôpital français m’a réjoui. Mon plaisir eût été complet si j’avais vu une école à côté de l’hôpital ; cette satisfaction m’a été refusée. Il existe à Jaffa une école protestante ; il n’y a pas d’école catholique, sauf une école franciscaine tout à fait insignifiante. Ah ! si quelque riche négociant comme M. Guimet avait l’heureuse inspiration de consacrer une centaine de mille francs à une fondation pareille, quel service ne rendrait-il pas au christianisme et à la France !


II. — DE JAFFA A JÉRUSALEM.

On peut faire en une journée, surtout à cheval, le trajet de Jaffa à Jérusalem, mais il faut alors partir de bonne heure et ne pas perdre de temps en route. Lorsqu’on a débarqué le matin à Jaffa, on doit se résigner à mettre deux jours pour arriver à Jérusalem. Le premier jour, on va coucher à Ramleh, ce qui n’est guère qu’une promenade de deux heures, ou trois heures au plus si les chevaux sont mauvais. Quand je dis promenade, je ne saurais ajouter promenade d’agrément, quoique le pays soit singulièrement beau et pittoresque. La première expérience des procédés de voyage usités en Syrie est assez dure à supporter. L’habitude manque ; la surprise se joint à la fatigue. La route de Jaffa à Jérusalem passe dans le pays pour très confortable ; sa construction a coûté dix fois plus que celle de la route de Beyrouth à Damas, qui est parfaite. Figurez-vous cependant une série d’épouvantables ornières où l’on est agité comme sur des vagues furieuses. Tantôt on s’égare au milieu d’un champ, tantôt on passe un torrent desséché en se tenant vigoureusement à sa voiture de peur d’être lancé au loin par un cahot, tantôt on gravit un pont à dos d’âne, et, arrivé au milieu, on roule de l’autre côté avec une vitesse vertigineuse. La voiture d’ailleurs est un des plus étranges véhicules qu’on puisse imaginer. Il serait beaucoup plus exact de l’appeler carriole. C’est une sorte de char à bancs où l’on est assis sur de mauvaises planches dont les craquemens perpétuels donnent à chaque instant l’impression d’un