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Pas pour vouloir, pas plus qu’on n’affirme pour affirmer ; placer le bien dans la bonne volonté, dans la volonté se voulant elle-même, c’est comme si on plaçait la vérité dans l’affirmation s’affirmant elle-même, dans l’affirmation opiniâtre[1]. » La volonté est donc hétéronome et reçoit sa loi des objets mêmes qu’elle poursuit, des « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » 6° Ce n’est plus à la lettre, mais seulement par métaphore qu’on peut appeler l’homme une fin en soi, puisque l’homme lui-même est obligé de se conformer à la fin que lui imposent la nature des choses, les lois de l’univers ou la nature de son principe ; ses facultés ne sont plus bonnes en elles-mêmes et par elles-mêmes, car elles sont des moyens pour atteindre le bien absolu, la perfection absolue, dont elles n’offrent qu’une première et incomplète image. C’est l’homme absolu, l’homme parfait, c’est-à-dire Dieu, qui est une fin en soi. 7° La morale dépend donc de l’ontologie et même, à parler plus exactement, de la théologie, qui étudie l’être parfait. La morale n’est que l’application à la conduite des théories sur l’essence de la perfection divine, théories que nous construisons en élevant à l’infini nos propres facultés. En un mot, comme l’a dit Leibniz, bonum naturale, quum est voluntarium, fit bonum morale.[2]

Telles devraient être les conséquences logiques de la doctrine qui subordonne le devoir au bien. M. Janet est obligé lui-même d’avouer certaines de ces conséquences, principalement celle qui regarde la transformation des préceptes moraux en impératifs hypothétiques ou conditionnels. « Au fond, dit-il, si l’on y regarde de près, on verra que tout impératif catégorique est un impératif hypothétique, aussi bien que les règles de l’intérêt et de la prudence. Tu ne dois pas mentir me dit la loi morale. C’est là, dit-on, un commandement sans condition. En aucune façon ; il y en a une sous-entendue : tu ne dois pas mentir, si tu veux agir comme il convient à une créature humaine. Tu ne dois pas t’enivrer, si tu ne veux pas être une brute. Enfin la condition sous-entendue dans tout impératif catégorique, c’est l’excellence de la personnalité humaine considérée comme fin en soi. » Au reste, la pensée de M. Janet est ici hésitante, et il confond dans ce passage deux sens du mot condition. L’un, purement logique, désigne la raison générale d’un précepte particulier : par exemple, la défense particulière de mentir a sa raison générale ou sa condition logique dans le précepte de respecter l’intelligence humaine, et ce précepte à son tour dans celui de respecter les caractères propres de l’humanité. L’autre sens du mot

  1. M. Darfu, Revue philosophique, 2° semestre 1878.
  2. La Morale, p. 199.