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une hypothèse. Or l’école spiritualiste prétend établir la base de la morale en dehors de toute hypothèse, dans le domaine de la certitude et d’un dogmatisme légitime. Elle n’y a réussi, semble-t-il, ni pour le libre arbitre, ni pour le bien en soi ; voyons si elle y réussira mieux pour la troisième idée fondamentale de tout spiritualisme, celle de devoir, qui exprime la relation de la liberté humaine avec le bien en soi.


III

Kant, on le sait, avait établi sur le doute métaphysique son dogmatisme moral. Sans prétendre connaître le bien en soi dans son fond et dans sa nature, il considérait cette forme du bien qu’on nomme le devoir ou l’obligation morale comme le seul principe absolument certain. — Le devoir ou la morale, disait-il, ne repose pas sur une idée du bien absolu qui lui serait antérieure, car alors, comme nous n’avons point l’intuition de l’absolu, il ne nous resterait pour déterminer ce bien d’autre moyen que l’expérience et d’autre critérium que la sensibilité. La morale qui prétend s’appuyer sur la perfection intrinsèque des choses aboutit, en dernière analyse, à définir cette perfection même par le bonheur de l’homme. — Nous venons de voir, en étudiant la morale du spiritualisme français, se vérifier cette assertion de Kant. Le philosophe allemand concluait qu’il faut affirmer le devoir comme une loi qui ne repose que sur soi ; c’est précisément cette loi qui, selon lui, nous sert à déterminer le bien, loin d’être elle-même déterminée par une idée du bien antérieure. Ainsi se constituait le dogmatisme moral de Kant. Les spiritualistes français repoussent ce devoir pour le devoir qui ne repose sur rien et qui ressemble, dit M. Janet, à un commandement militaire. En cela ils n’ont peut-être pas tort. Mais ont-ils bien le droit alors de conserver l’idée du devoir absolu, de l’obligation absolue, de ce que Kant appelait l’impératif catégorique ? Si l’esprit éclectique du spiritualisme français s’accommode volontiers en gros de cet emprunt fait à Kant, comme des emprunts faits à Platon et à Leibniz, il faut pourtant voir, en y regardant de plus près, jusqu’à quel point la logique s’en accommode. N’y a-t-il point, comme Kant le croyait, une complète contradiction entre l’idée d’un devoir absolu et celle d’un devoir dérivant d’un bien antérieur ?

Parmi nos moralistes contemporains, M. Janet est celui qui a fait le plus vigoureux effort pour échapper à cette contradiction. Il a poussé la doctrine de la perfection à ses conséquences logiques, et il a essayé de mettre ces conséquences en harmonie avec