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Cette phrase contient d’avance, en sa riche précision, tous les développemens apportés à la morale de la perfection par l’école française contemporaine, depuis MM. Vacherot et Janet jusqu’à M. Ravaisson. « La conscience, dit M. Vacherot, nous révèle en même temps l’infériorité de la vie animale et la supériorité de la vie humaine… L’esprit commande à la chair, l’ange à la bote, l’homme à l’animal[1]. » — « Le bien moral, dit à son tour M. Janet, suppose un bien naturel qui lui est antérieur et lui sert de fondement… Les biens naturels, antérieurs au bien moral, et qui devront être l’objet d’un choix, ne s’évaluent pas par le plaisir qu’ils nous procurent, mais par un caractère intrinsèque, que nous appelons leur excellence et qui est indépendant de notre manière de sentir[2]. » M. Ravaisson enfin définit aussi le bien par la perfection ou l’excellence, qu’il place avec les Grecs et Leibniz dans la beauté, objet de l’amour. « Ce serait, dit-il, faire quelque chose pour sortir de ce cercle de termes abstraits et généraux qui consiste à définir le devoir par la fin ou par le bien et le bien ou la fin par le devoir, que de définir le bien, par exemple, comme le firent les Grecs et particulièrement les stoïciens, par le beau, puis le beau par l’harmonie et l’unité, ou encore par ce qui détermine l’amour, ou par l’amour lui-même[3]. » M. Charles Lévêque, dans sa Science du beau, ramène la beauté morale ou bien moral, comme toute autre beauté, aux deux élémens qu’il croit être ceux de la perfection même : la puissance et l’ordre ; ce sont encore les deux élémens de Leibniz, qui ajoutait, il est vrai, comme M. Ravaisson, que la force et l’ordre produisent l’amour.

Quelque hautes que soient et cette doctrine et l’autorité des philosophes qui l’ont soutenue, elle nous paraît cependant donner prise à des objections nombreuses, auxquelles les spiritualistes français ont peut-être trop négligé de répondre. La morale de la perfection a été attaquée à la fois par Kant et par les naturalistes, au nom de l’idée de devoir et au nom de l’idée de bonheur. Et en effet rien n’est moins évident, rien n’est moins clair que le principe du bien proposé par l’école spiritualiste contemporaine. Pour nous en rendre compte, analysons l’idée de perfection et voyons dans quelles notions plus précises elle viendra se résoudre. Quant à la morale de la beauté et de l’amour, qui est la morale de la perfection sous une forme plus élevée et plus achevée, elle mérite d’être

  1. Essais de philosophie critique, p. 299.
  2. La Morale, préface p. VI. Même doctrine dans le livre de M. Ferraz, sur la Philosophie du devoir.
  3. La Philosophie en France, p. 225.