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rapport à l’univers tout entier, car il faut que l’acte libre, en tant que libre, ne soit l’effet d’aucune des causes extérieures dont l’ensemble forme l’univers ; sous son aspect positif, elle est spontanéité absolue, activité se donnant à elle-même sa direction et sa loi. Maintenant, la conscience peut-elle saisir sur le fait ces deux conditions, comme le croient les moralistes de l’école française ? C’est ce que nous avons à examiner.

En premier lieu, puis-je avoir conscience de mon indépendance par rapport à toute cause étrangère ? Pour cela, il faudrait que je connusse toutes les causes qui agissent sur moi, milieu physique et social, tempérament, hérédité, habitudes, humeur du moment, etc. ; que j’eusse mesuré l’action de toutes ces causes, et que je pusse montrer un reste inexplicable par elles, conséquemment attribuable à moi seul. Or, comment aurais-je conscience de toutes les causes extérieures et de leur action ? — C’est ici non une conscience proprement dite, mais une connaissance ou science qu’il faudrait avoir, et même une science universelle, épuisant son objet ou, comme disent les Anglais, exhaustive. En d’autres termes, il faudrait avoir résolu ce problème : Étant donnés tous les mouvemens et toutes les forces de l’univers, en calculer l’action et montrer que mon acte, — par exemple un parjure ou un témoignage véridique, — ne peut résulter de cette action. Ce n’est rien moins que la science absolue qui pourrait résoudre un tel problème. Cette science, l’école spiritualiste ne peut me l’attribuer ; elle se contente modestement de « la conscience que la volonté a d’elle-même. » Fort bien ; mais si je regarde seulement dans ma conscience, mes affirmations ne sont plus valables que dans la sphère et les limites de cette conscience ; je ne puis donc plus dire que ceci : « Je n’ai pas conscience de causes étrangères produisant mon action. » L’école spiritualiste, elle, traduit cette proposition par la suivante, qu’un abîme sépare pourtant de la première : — J’ai conscience qu’il n’existe pas de causes étrangères produisant mon action. — La confusion est évidente : ce qui n’existe pas en moi, c’est la conscience des causes étrangères ; mais de ce que cette conscience n’existe pas, il n’en résulte nullement que les causes mêmes n’existent pas. C’est comme si l’on disait : Je ne vois pas les étoiles composant une nébuleuse ; donc je vois qu’il n’y a pas d’étoiles composant cette nébuleuse. Ou encore : — Je ne vois pas de rayons de lumière au-delà des limites du spectre solaire ; donc je vois qu’il n’y a pas de rayons de lumière au-delà de ces limites. — Le chimiste, pour toute réponse, placera en dehors du spectre visible une plaque photographique et vous montrera que la réaction due à la lumière continue de se produire ; ce sont donc