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LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE




Depuis longtemps déjà, beaucoup de nos souscripteurs se plaignaient de ne pas rencontrer, à côté de la chronique politique et de la revue littéraire, qui entrent pour une si notable part dans le succès de la Revue, un résumé des principaux faits économiques et financiers de la quinzaine. Nous avons résolu de combler cette lacune : désormais nous étudierons d’une façon suivie les principales manifestations du mouvement financier, qui, par suite du développement inouï de la richesse mobilière, a pris, depuis quelques années, une importance si capitale.

Il y a plusieurs années que, de l’autre côté du Rhin, certains prophètes de malheur nous prédisent un krach analogue à celui qui affecta si gravement, en 1873, les places de Vienne, de Berlin et de New-York. Et deux ou trois fois déjà, il faut bien le dire, cette prédiction peu bienveillante a paru sur le point de se réaliser, notamment aux mois d’octobre et novembre 1879.

La place de Paris vient d’avoir une semblable alerte, moins vive pourtant. Dans les premiers jours d’avril, un fort mouvement de baisse se manifesta tout d’un coup. La spéculation à la hausse résista d’abord assez bravement et parvint, sans trop de pertes ; à doubler le cap de la liquidation du 15. Mais cet effort l’avait épuisée. La liquidation passée, le mouvement reprit de plus belle, et pendant toute une semaine la bourse eut beaucoup de peine à se remettre d’une sorte d’affolement.

Heureusement, à l’heure où nous écrivons, tout est rentré dans l’ordre : la confiance et le sang-froid sont revenus, la plupart des cours ont repris leur assiette ; bref, toute crainte de krach est encore une fois écartée. Toutefois, quelque passagère qu’ait été cette dernière crise, il importe de se bien rendre compte des causes qui l’ont provoquée et d’en tirer pour l’avenir une leçon. Ce ne sont pas, comme on pourrait le croire, les circonstances extérieures qui ont amené la perturbation dont notre marché a eu à souffrir ; sans doute elles y ont été pour quelque chose : la bourse n’a pas vu, ne pouvait pas voir avec indifférence l’incident tunisien. Mais le fait déterminant, celui qui a causé tout le mal, c’est l’excès de la spéculation sur certaines valeurs pendant les derniers mois. Déjà, lors de la liquidation de fin mars, le danger des mouvemens désordonnés auxquels nous faisons allusion était apparu à tous les esprits clairvoyans ; le prix élevé des reports avait été un avertissement, presque une menace. Il fallait s’arrêter, se recueillir ; au lieu de