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Barail, M. le général Ducrot, qui tous ont fait la guerre d’Afrique, ont manié des armées ? Pense-t-on que M. le général Chanzy, qui tient d’ailleurs fort bien sa place à Saint-Pétersbourg, eût été de trop à Alger ? Que les chefs militaires, chargés de porter le drapeau de la France aient été choisis avec soin, que tous ces soldats dévoués du pays fassent vaillamment et habilement leur devoir, nous n’en doutons certes pas ; ils ne l’auraient pas fait avec moins d’entrain apparemment s’ils s’étaient sentis soutenus, guidés de près ou de loin par leurs aînés des guerres africaines. Quelques conseils de plus auraient peut-être épargné des méprises, des tâtonnemens dans la mise en mouvement de l’expédition nouvelle. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit plus de cela aujourd’hui. On est sorti de la période des préparations un peu confuses pour entrer en action. De toutes parts, en effet, sur la frontière tunisienne, la campagne est engagée sous la direction supérieure de M. le général Forgemol. Trois colonnes, suffisamment fortes, sont en marche, l’une abordant de front par l’ouest le massif montagneux habité par les Khroumirs, l’autre suivant à l’est des montagnes la vallée de la Medjerdah qui conduit vers Tunis, la troisième passant par la petite ville de Kef, qu’elle a occupée, tandis qu’un petit corps de débarquement a pris possession sur la côte de la petite île de Tabarka pour pénétrer par le nord. Autant qu’on en puisse juger, ces diverses colonnes, combinant leurs opérations, forment un réseau destiné à envelopper les Khroumirs dans leurs montagnes, en même temps qu’elles tiennent en respect les troupes tunisiennes si elles étaient tentées de faire quelques démonstrations hostiles. Déjà les premiers engagemens ont montré la bonne tenue de nos jeunes soldats au feu.

Que ces opérations qui commencent à peine, qui vont se dérouler sur ce sol tourmenté de l’ouest de la Tunisie puissent être laborieuses, cela n’est pas douteux, d’autant plus que nos soldats vont avoir tout à la fois à subir l’épreuve du climat et à se mesurer avec une population belliqueuse retranchée dans ses rochers abrupts. Ce qu’il y aurait cependant de plus heureux, maintenant que la guerre est engagée et que la poudre a parlé, ce serait que cette campagne pût être rapidement conduite, qu’elle allât droit au but sans perte de temps. C’est ce qu’il y aurait de mieux pour toute sorte de raisons locales et générales, militaires et politiques. D’abord, on ne peut s’y tromper, ce qui se passe en Tunisie n’est point absolument accidentel et isolé. L’agitation n’est point enfermée dans les montagnes des Khroumirs. Il est trop visible que, depuis quelque temps, il y a un peu partout, en Afrique, une certaine fermentation qui répond peut-être à quelque mot d’ordre mystérieux, qui est la suite des excitations hostiles perfidement propagées à travers les tribus. Ce n’est point sans doute un simple hasard qui a fait qu’au moment où la crise devenait plus aiguë aux