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maintenant que, pour dresser des vivans entre la toile de fond et la rampe, des vivans qui ne ploient pas sous des noms historiques et ne flottent pas dans des costumes réputés exacts, le plus sûr est peut-être de ressusciter les morts, et non pas seulement de les donner pour parrains à des fantômes soufflés par notre ingénieux caprice. L’historien, à coup sûr, ne supplante pas le poète, l’exhumation est la besogne qui suffit à ses forces. Au poète seul appartient le miracle ; à lui de ranimer les corps découverts : sa part est la meilleure, qu’il soit content de la garder.

Or donc Mme de Maintenon, à la juger sagement, si elle ne mérite pas d’être bombardée sainte, ne fut cependant ni un Rodin en coiffes, ni une « guenipe » à qui l’on puisse, pour les besoins d’un drame, prêter délibérément un bâtard. Elle fut vertueuse par froideur et par grâce de nature ; par réserve et défiance, en mémoire de son jeune âge inquiet ; par habitude, ayant été, passez-moi l’expression, mal commencée pour l’amour ; par superbe et désir extrême de l’estime d’autrui, qui fut toujours, comme elle dit, son « idole » ; par habileté enfin, et ce serait la dernière raison, si la dévotion ne venait consacrer toutes les autres : non qu’elle fût vertueuse par intérêt et calcul, mais elle se réjouit de l’être par expérience et jugement, ayant remarqué à l’usage et soigneusement retenu « qu’il n’y a rien de si habile que de n’avoir point tort. » Pour sa religion, elle fut d’abord tolérante, raisonnable, humaine. Tout enfant, elle s’était convertie à la foi catholique, non pas comme Mme de Caylus, contre promesse d’assister chaque jour à la messe du roi et de ne plus recevoir le fouet, mais bien avec prudence et délibération, après avoir fait discuter devant elle, au parloir du couvent, un ministre calviniste contre un docteur catholique. Jamais plus tard, ni dans sa famille, ni dans tout le royaume, elle n’exigea de conversions plus violentes que n’avait été la sienne ; tout ce qu’elle ut pour ses parens, ce fut de souhaiter qu’ils se missent en état de profiter des bonnes grâces du roi, et, naturellement, d’y aider par toutes sortes de raisons et de caresses. Quant aux gens qui abjurent sans être véritablement catholiques, elle déclare, et cela bien après la révocation de redit de Nantes, — alors que sa dévotion s’acoquine en mille pratiques étroites, — elle déclare leur condition proprement infâme. Elle approuva sans doute ce déplorable coup de force, non comme une violence nouvelle contre les doctrines religieuses, encore moins contre des personnes, mais comme la dernière secousse qui devait faire choir un parti politique ébranlé : ainsi l’approuvèrent bien des contemporains, et de plus éclairés qu’elle, à qui l’histoire pardonne.

Quel fut donc au juste son personnage à la cour ? Elle y entra par hasard et presque malgré elle ; elle y resta un temps pour « faire son établissement, » pour se retirer bientôt après fortune faite ; elle s’y maintint plus tard par commission de l’église, — comme a la sentinelle de Dieu, » écrivait Fénelon, « comme le canal des bons