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devoir quasi maternel ou ce de voir à cette ambition ? Il faut faire votre choix : entre ces deux raisons de nous émouvoir, nous balançons et tenons notre sympathie en réserve. Donnez à franc Collier dans l’un ou l’autre sujet pour nous tirer à votre suite. Laissez les affaires de cœur de Mme de Maintenon, pour être tout entier aux huguenots proscrits ; ou bien mettez que. Samuel est vraiment te fils de la Scarron : alors les cris de cette mère nous déchireront l’âme comme ceux de Lucrèce Borgia défendant Gennaro. »

Ces charitables conseils, j’imagine que M. Coppée les avait prévus : les conseils, d’ordinaire, demandent seulement qu’on les suive ; il était facile de devancer ceux-là. Le procès de Mme de Maintenez devant la postérité est à peine révisé aujourd’hui sur les instances de M. le duc de Noailles et de M. Th. Lavallée. Contre elle, sur la foi du haineux Saint-Simon, de la terrible Palatine et du faussaire La Beaumelle, contre elle, pendant près de deux, siècles, le pamphlet a pris force de légende et presque d’histoire. Pour un peu, l’on eût gravé sur sa tombe, sur sa tombe brisée par la Révolution, quelque épitaphe dans le goût de celle-ci, empruntée à un noël du recueil Maurepas : « Ci gist une sainte guenipe, » — et je substitue au mot plus cru, plus ignoble encore, qui se trouve dans ce noël, le sobriquet que donna le plus souvent à la marquise de Maintenon son. ennemie jurée, Madame, duchesse d’Orléans.

« Sainte guenipe, » voilà bien pour les crédules lecteurs des romans de La Beaumelle le surnom qui siérait à Françoise d’Aubigné ; hypocrite et débauchée, voilà sa double face. Il était facile au poète, qui connaît ses auteurs, de la montrer en veuve Tartufe, en Rodin à coiffes, soufflant à Louis XIV la révocation de l’édit de Nantes ; ou bien en drôlesse épousée, en Messaline de la main gauche, en « Théodora, » comme dit bravement la Palatine, faisant retentir le cabinet du roi de ses cris de grâce pour un bâtard, dont elle eût choisi le père, au petit bonheur, entre les trois Villarceaux. Même, — et ceci eût été vraiment beau, — on aurait pu suivre ces deux veines à la fois, non pas à la façon de M. François Coppée, en laissant chaque chose dans son ordre, la question religieuse d’une part, l’aventure d’amour ou d’amitié de l’autre, mais en montrant la Maintenon à la fois atroce contre les huguenots et furieuse de tendresse pour son bâtard, qu’elle aurait perdu sans le vouloir ; Alors on usait franchement du procédé romantique ; on employait cette recette bien simple que Victor Hugo a consignée dans la préface de Lucrèce Borgia : « Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; .. et puis… mêlez à toute cette difformité morale le sentiment maternel, dans votre monstre mettez une mère ; » — et pour le coup vous aurez un monstre, un être mi-parti, qui ne sera pas moralement viable, étant composé d’un bon ange et d’un mauvais ange siamois, de deux âmes juxtaposées et non fondues en une seule ; mais à le monstre intéressera et le monstre fera pleurer » — tous ceux du