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long sarment couché produira une ou deux marcottes. Bref, tous ces procédés coûteront toujours plus de bois rares et n’atteindront pas le résultat de la bouture à un œil.

En effet, la bouture à un œil réunit les avantages des semis à ceux de la bouture ordinaire et évite les inconvéniens inhérens à chacun de ces procédés. Appuyons cette assertion sur l’étude de la constitution théorique du plant : il doit se composer essentiellement d’une racine et d’une tige se réunissant en un point nommé collet, point décisif où les fonctions des organes s’effacent pour servir de transition à des actions physiologiques absolument différentes. Le plant de semis remplit parfaitement ces conditions, mais il a contre lui une jeunesse, une enfance même, indéfiniment prolongée, si bien qu’on peut, comme plant direct, hâter sa production et connaître plus tôt sa qualité en greffant son bois sur une autre souche, ou en le faisant enraciner par marcottage pour l’isoler de sa propre racine. Comme porte-greffe, sa racine pivotante trouble l’existence des greffes en lui lançant sans cesse de nouveaux rejets qui l’affament et l’étouffent. Enfin, dernier et principal défaut, il ne reproduit que l’espèce et non l’individu. Un pépin produira une vigne, produira même un labrusca ou un estivalis, mais le jeune plant ne sera ni un concord ni un herbemont ; il aura une grande analogie avec son ascendant, mais il n’en reproduira pas exactement les caractères, il sera blanc, noir, rosé, fertile, infertile, délicat du robuste, sans égard pour sa parenté ; le seul caractère invariable, si le pépin est pur de toute hybridation, sera sa résistance au phylloxéra quand le phylloxéra sera seul à l’attaquer ; mais si, par sa nature individuelle, il est sujet au mildew[1] ou au rot[2] le phylloxéra le trouvera sans défense et le tuera malgré sa racine résistante.

Passons à l’étude de la marcotte. Elle reproduit l’espèce et aussi l’individu ; si elle n’est la chair de sa chair, elle est le bois de son bois, mais avec la différence qui distingue constamment les interventions divines des interventions humaines. Eve fut une créature parfaite et la marcotte n’est jamais qu’un fragment d’arbuste muni accidentellement de racines mal attachées, — à moins qu’une disposition heureuse et une serpette intelligente ne lui donnent l’apparence de la constitution normale qu’on lui souhaite, et qu’elle ne se compose d’une tige, d’une racine et d’un collet, ce dernier étant un intermédiaire indispensable pour que la tige et la racine accomplissent leurs fonctions respectives.

  1. Moisissure des feuilles.
  2. Pourriture du fruit, gagnant la plante entière.