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lui forment des rives sous-marines qui se prolongent à près de 500 mètres en mer. À ce point, un haut-fond parallèle au rivage traverse le lit du fleuve et ne laisse au thalweg qu’une profondeur de lm,50 environ ; c’est la barre. Elle dessine une courbe concave, qui s’appuie à ses extrémités contre les theys et dont la forme semble indiquer les efforts que le courant fluvial fait pour la repousser au large. La crête est à peine noyée et affleure presque le niveau du fleuve, qui ne la recouvre que d’une mince tranche d’eau variant de 0m,10 à 0m,80. Vers le milieu, cette digue sous-marine est traversée par le courant des eaux douces, qui y creusent une sorte de chenal ; ce chenal est la passe, qui varie sans cesse de largeur, d’emplacement et de direction, et dont la profondeur oscille, suivant le régime du Rhône et l’état de la mer, entre 1 et 2 mètres. A l’intérieur, en amont du seuil, la profondeur est très faible ; au dehors, au contraire, elle s’abaisse rapidement, et la barre se trouve ainsi au sommet de deux pentes, l’une très adoucie qui s’allonge vers le fleuve, l’autre très raide qui plonge dans la mer.

Les inondations du Rhône ont presque toujours lieu lorsque soufflent les vents du large, qui accumulent une mer énorme contre la côte. Ces vents sont tièdes ; ils sont arrêtés par les crêtes neigeuses des Alpes, les réchauffent, fondent leurs glaciers et provoquent les crues et les inondations. Ainsi, les vagues refoulent le courant fluvial avec d’autant plus de force qu’il est plus violent, et la même cause qui gonfle le Rhône augmente la résistance de la mer. L’action des crues, qui semblerait de voir améliorer les passes, est donc généralement perturbatrice ; elles bouleversent la barre, déplacent la passe, la déforment, l’obstruent ; et ce ne sont que les eaux moyennes du fleuve qui la rétablissent quelques jours après.

On conçoit dès lors toutes les difficultés qu’éprouve la navigation à l’embouchure du Rhône. Lorsque la passe est ensablée, les navires ne peuvent ni entrer ni sortir. Pendant les grosses mers du large, les vagues se brisent sur le seuil sous-marin ; les bâtimens n’osent s’y aventurer, et le terrible mistral les empêche de gouverner dans cet étroit défilé de la passe, environné de tous côtés de hauts-fonds, où la moindre déviation peut causer un naufrage. L’état de la mer, les vents, les courans littoraux qui font dériver les navires à l’ouest, le courant du fleuve qui les repousse au large, les vagues qui les soulèvent et les incertitudes de la passe elle-même sont autant d’obstacles qu’il est impossible d’affronter sans péril ; et malgré le service de balisage et de pilotage organisé sur les theys de l’embouchure, il est rare que les mariniers lamaneurs puissent