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longues files les bras gonflés du Rhône et se réfugient pendant l’inondation dans les steppes de la Camargue et du Plan-du-Bourg.

Le niveau des theys se relève sur les bords et s’abaisse au centre. Du côté de la mer, l’îlot est fermé par une digue naturelle que les vagues consolident sans cesse en retroussant les sables, et ce bourrelet atteint quelquefois une hauteur d’un mètre. En somme, ces theys ne sont que des tronçons de barre émergés. Dès que le dépôt sous-marin commence à se former, il ne tarde pas à grandir ; l’atterrissement s’élève bientôt jusqu’à la surface du fleuve ; les tamaris, les soudes, les salicornes s’y fixent et le consolident, les crues du Rhône le couvrent de nouvelles couches de limon, et le they est alors constitué.

La grande île de la Camargue, qui n’a pas moins de 75,000 hectares, n’est que l’agglomération de tous les theys qui se sont formés depuis l’origine de notre dernière période géologique ; et tous les nouveaux îlots que nous voyons naître sous nos yeux aux embouchures augmentent chaque jour ce domaine récent, conquête patiente du Rhône sur la mer. Ces theys se développent ainsi sans cesse, se soudent entre eux, sont quelquefois émoussés par les coups de mer, peuvent même disparaître accidentellement, mais renaissent bientôt après, et en définitive prolongent les deux promontoires du fleuve, dont l’avancement annuel est aujourd’hui d’une quarantaine de mètres.

« Il semble, dit très judicieusement Astruc, que l’accroissement successif de cette côte soit marqué à l’œil par l’ordre des tours bâties le long du Rhône. Strabon nous apprend que les Marseillais, devenus maîtres de l’embouchure du fleuve, y construisirent des tours pour servir de signaux et pour faciliter l’entrée et la sortie des navires. Si le Rhône avait toujours eu la même embouchure, on n’aurait eu besoin que d’y construire une seule tour, ou du moins n’aurait-il fallu en construire que deux, une sur chaque rive ; cependant, on en compte aujourd’hui quatre à cinq de chaque côté, rangées de distance en distance le long du fleuve. Du côté gauche, la tour de Mauleget, la tour de Saint-Arcier, la tour de Parade, la tour de Belvare, et du côté droit la tour de Mondovila tour de Vassale, la tour de Grau, la tour de Tampan, bâtie en 1614, et la tour de Saint-Genest, bâtie à l’embouchure du Bras-de-Fer en 1856. C’est donc un, e preuve que le lit du Rhône s’est prolongé peu à peu dans la mer par des atterrissemens successifs, que les anciennes tours se sont trouvées par là trop éloignées de l’embouchure pour pouvoir servir à l’usage pour lequel on les avait bâties et qu’on a été obligé d’en construire de nouvelles de temps en temps et de distance en distance. »