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voit, suivi la même loi que ceux du Pô, qui s’est avancé lentement de Ravenne vers Venise, depuis l’origine de notre ère, en se dirigeant toujours vers le nord.

Jusqu’à ces derniers temps, le bras principal du Rhône suivait dans la zone maritime une ligne sinueuse qu’on appelait le Bras de fer, ou le canal du Japon, et dont on retrouve encore le profond sillon rempli d’eau stagnante à l’extrémité méridionale de la Camargue. Mais, en 1711, les vases avaient tellement encombré le Bras de fer, qu’à la suite d’une crue subite, les eaux du fleuve changèrent brusquement de lit et se jetèrent avec impétuosité dans un petit canal artificiel, le canal des Lônes, qui les conduisait beaucoup plus directement à la mer. Ce canal est devenu et est resté depuis un siècle et demi le grand bras maritime, le seul ouvert à la navigation.

Le Rhône, qui débite en moyenne 54 milliards de mètres cubes d’eau, apporte annuellement à la mer 21 millions de mètres cubes de limons, dont 17 passent par le bras principal, le grand Rhône, celui qui conduit d’Arles à la mer. Ce grand Rhône présente, sur un développement de plus de 50 kilomètres, des largeurs et des profondeurs très variables. Partout où le fleuve est resserré, le courant est rapide et la profondeur considérable ; elle atteint 17 mètres à Arles, 15 mètres au fort de Pâques et en face de Mollèges, près de 19 mètres un peu avant les embouchures, vis-à-vis la tour Saint-Louis. Lorsque le fleuve au contraire se divise et s’élargit, la profondeur diminue, mais n’est jamais inférieure à 2m,50. Presque partout, elle est de 4 mètres, et les travaux d’amélioration entre Arles et la mer lui donneront bientôt cette profondeur normale sur tout son parcours. Les hauts-fonds constituent ainsi dans le tronc du fleuve de véritables barres ; mais il y a, entre ces barres fluviales et la barre maritime qui existe à l’embouchure, cette différence capitale que les barres de l’intérieur peuvent être facilement draguées et ne se manifestent que dans les basses eaux, que le passage, s’il est gênant, n’est jamais dangereux, et que les navires qui peuvent être arrêtés par ces hauts-fonds, restent toujours à couvert dans une sorte de port naturel en civière et ne sont pas exposés à des coups de mer sur une côte dangereuse et instable.

Tout autre est la barre des embouchures.

Au pied de la Tour Saint-Louis, le fleuve qui avait jusque-là une largeur moyenne de plus de 500 mètres, est resserré entre deux lignes d’enrochemens qui ne laissent aux eaux qu’un passage de 300 mètres. De là il va en s’élargissant jusqu’à la mer, où il arrive par six hanches différentes qu’on appelle des graus (gradus,