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nom ; et c’est à peine si quelques saltimbanques viennent, pendant une quinzaine de jours, amuser un public de plus en plus rare sur le magnifique cours ombragé de platanes séculaires où venaient jadis s’étaler les produits du monde entier.

Il y a vingt ans encore, un ou deux bateaux de mer de très petit tonnage remontaient de temps à autre jusqu’à Beaucaire à l’époque de la foire ; mais ce mouvement se ralentissait tous les jours ; pendant certaines années, aucun navire ne dépassait le pont d’Arles. En fait, la navigation à voiles n’existait plus en amont de cette ville. L’administration de la marine cependant, jalouse de tous ses privilèges, tenait à conserver jusqu’à Beaucaire la libre navigation du fleuve. Lorsqu’en 1864, on étudia le pont du chemin de fer d’Arles à Lunel, qui devait traverser le Rhône, elle demanda énergiquement qu’on y ménageât une arche marinière et une travée mobile, de manière à permettre aux navires de mer de remonter avec leurs mâtures jusque dans les eaux de Beaucaire. Cette prétention ne pouvait être sérieusement justifiée. Il était inutile d’imposer aux compagnies de chemin de fer des sujétions aussi coûteuses pour favoriser une navigation absente. Le viaduc du railway, et plus récemment celui de la route qui réunit la ville d’Arles à Trinquetaille, ont définitivement barré le fleuve, et les ponts d’Arles sont la limite désormais infranchissable où s’arrête la navigation maritime.

Il est certain qu’à l’époque impériale cette navigation était beaucoup plus prospère que de nos jours. Le port d’Arles n’était pas réduit comme aujourd’hui à un simple quai de débarquement sur le bord d’une rivière enserrée entre deux lignes de quai. Le fleuve n’avait pas de digues, et la majeure partie de la plaine était toujours submersible, souvent submergée. La nature avait placé la ville dans une situation toute particulière. Bâtie sur une petite colline calcaire dont la plate-forme dominait le Rhône d’une vingtaine de mètres, elle était entourée d’un côté par les eaux du fleuve, de l’autre parcelles des étangs. Ces étangs eux-mêmes, qui sont aujourd’hui en grande partie desséchés, étaient avivés par les inondations et les crues ; ils présentaient en général assez de fond pour permettre l’accès de tous les navires de l’époque ; ils étaient, dans tous les cas, toujours flottables ; et l’on sait que, dans les parties les moins profondes, la navigation se faisait alors au moyen d’un outillage spécial ; c’étaient des bateaux plats ou même de simples radeaux supportés par un nombre considérable d’outrés, comme on en voit encore dans les plaines basses inondées par les grandes eaux du Tigre, de l’Euphrate et de la plupart des fleuves de l’Asie. Mais il y a plus, et la mer était alors beaucoup plus