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palais particuliers dont on ne pourrait faire aujourd’hui que des essais de restauration tout à fait hypothétiques. Tout ce que l’on peut constater, c’est que, dans les cayes de la plupart des maisons situées aux abords, on trouve des soubassemens de provenance romaine ; ces maisons elles-mêmes, qui datent de plusieurs siècles et dont les façades pittoresques rappellent l’élégance décorative de la Renaissance, sont elles-mêmes dans le plus complet dénûment. Le quartier aristocratique de l’ancienne ville constantinienne est aujourd’hui habité par une population sordide. Les vieux hôtels du XVIe siècle, entés sur les substructions de l’empire, moisissent sur place ; et la grande digue du Rhône, sous prétexte de les défendre contre les inondations, les a pour toujours séparés du fleuve et leur a enlevé du même coup l’air, la lumière et la vie.

Cette partie de la ville a été pendant longtemps sur la berge même du Rhône. Palais et maisons des mariniers descendaient jusqu’au niveau de l’eau ; les péristyles et les terrasses s’alignaient le long du rivage, et la vue pouvait s’étendre à la fois sur le port, dont la grande courbure embrassait l’île de la Camargue et le faubourg populeux de Trinquetaille. Les tartanes génoises et catalanes venaient, il y a à peine quarante ans, comme les galères romaines aux premiers siècles de notre ère, aborder au pied des constructions riveraines, ce qui a été rendu désormais impossible depuis que les ingénieurs modernes ont si bien défendu la malheureuse ville par une digue formidable, insubmersible à la vérité, mais inaccessible aux navires et en tout semblable à une muraille de forteresse ou au chemin de ronde d’une prison.


I

La navigation du Rhône a fait la fortune d’Arles dans les temps anciens ; la ruine de cette navigation est l’unique cause de sa décadence actuelle. Le fleuve d’ailleurs ne présente plus les mêmes conditions nautiques qu’au commencement de notre ère, alors que la ville impériale, véritable port de mer en rivière, s’intitulait pompeusement la sœur de Rome et était le lieu de réunion de l’assemblée générale des sept provinces des Gaules. Il a modifié son cours, la longueur de ses bras, le nombre et la direction de ses embouchures ; et toute la région maritime a subi une transformation complète, qui n’est pas, on doit le reconnaître, à l’avantage des temps modernes.

Le Rhône n’est en définitive qu’un immense torrent des Alpes ; et, comme tous les torrens, il se divise, depuis sa source jusqu’à la mer, en trois parties qui présentent des formes tout à fait distinctes et très nettement caractérisées.