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l’opinion que nous exprimons : sur les poèmes de cette époque, sur le Saule en particulier. Ce poème en effet ne parut pas dans la première édition de ses poésies complètes ; ce n’est que longues années après qu’on eut l’idée, peu heureuse à notre avis, de le tirer des limbes où son auteur l’avait plongé, et d’où il n’y avait vraiment aucune bonne raison de le faire sortir, puisque cet auteur en avait pris les plus beaux passages pour en composer l’élégie de Lucie et en avait transporté dans Frédéric et Bernerette le fameux, fragment, qui forme un si musical paysage de crépuscule :

Pâle étoile du soir, messagère lointaine, etc…..


De ces poèmes de transition, deux ont une importance exceptionnelle, parce qu’ils nous font assister au travail moral qui remplit les trois armées qui vont de la fin de 1829 à la fin de 1832, les Vœux stériles et les Secrètes pensées de Raphaël, gentilhomme français. Le de Musset définitif y est mieux qu’en préparation, il y est déjà tel qu’il restera jusqu’à la fin de sa carrières De l’homme des Contes d’Espagne il n’a gardé que les allures d’un dandysme invétéré et un goût invincible pour, tout ce qui est élégant et jeune : les Secrètes pensées de Raphaël expriment à merveille cette disposition de sa nature amendée par la réflexion. En même temps apparaît une faiblesse qui va désormais faire partie intégrante de son génie et devenir une de ses sources d’inspiration, c’est-à-dire une promptitude au découragement, une facilité de lassitude qu’aucun poète n’a, je crois, possédée au même degré. Les Vœux stériles sont la première expression de cette incurable faiblesse. Expliquons plus amplement l’état moral que révèlent ces deux pièces ; l’acte le plus important de sa vie littéraire, le seul même qui ait une importance, s’y rapporte directement.

Admis dès ses premiers pas dans le sanctuaire du cénacle romantique, Alfred de Musset set rattachait par ses débuts à l’école de Victor Hugo, et à l’ardeur tapageuse de ces débuts on pouvait croire qu’il allait être un des champions les plus résolus et les moins transigeans de cette école alors dans toute sa période militante, quelque chose comme un Ney ou un Murat romantique ; mais il n’y a pas de caractères qui soient plus prompts à se démentir que les caractères de cette trempe lorsque le feu de l’action ne les soutient plus, témoin les deux héros dont nous venons de citer les noms. Le scandale des Contes d’Espagne n’était pas encore apaisé que déjà de Musset réfléchissait que la position qu’il avait prise par ce coup d’audace ne serait durable qu’au grand péril de