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lui sans souci de savoir si le flot de salive retomberait à terre ou irait honorer le dos de quelque passant plus ou moins vulgaire. Le livre portait à toutes ses pages ce cachet de dandysme impertinent. Cela bravait le qu’en-dira-t-on, comme le don Raphaël des Marrons du feu assomme son hôtelier, avec une aisance exempte de tout scrupule. Il sollicitait l’attention du public avec l’imperturbable cynisme de Mardoche bernant de ses paradoxes le bedeau dont il veut faire son complice. Il n’y avait pas là cependant la moindre préméditation charlatanesque, c’était en toute naïveté que s’étalaient ces bouffonneries et ces extravagances, qui paraîtront presque admirables si l’on veut bien les regarder sous la lumière qui leur convient et les rapporter à cette période de gourme qu’elles expriment si bien. En dépit de toutes ses folies, en effet, ou plutôt à cause de ses folies même, il n’est pas de livre qui ait jamais peint avec une plus fougueuse franchise ce moment de fermentation à la fois généreuse et impure, où la nature impatiente de se montrer agite l’être entier du jeune homme et bouillonne pour rejeter au dehors l’excédent malsain de vie qui est en lui. Avez-vous jamais vu quelque noble cheval de race aux débuts de sa vie d’étalon, lorsque l’amour des belles cavales n’a pas encore amorti son ardeur et que l’art de l’écuyer n’a pas encore lassé son indépendance ? Quelle impatience sauvage se trahit dans ces bonds superbes ! quelle fierté menaçante entr’ouvre et referme ces naseaux fumans ! quelle irascible susceptibilité aiguillonne ces mouvemens d’une élégante brusquerie ! quelle ardeur d’amour et de liberté dans les longs frissonnemens qui parcourent son corps entier et font palpiter ses flancs lustrés ! et comme ils sont impérieux les hennissemens de cette sensualité qui s’éveille ! Est-il méchant, vicieux, rebelle à tout frein ? Nullement ; mais n’approchez pas cependant, ou ses ruades, qui ne sont que des jeux, pourraient bien vous étendre sur la poussière ; n’essayez pas de le monter, ou cette pétulance, qui n’est que joie de vivre, va vous secouer à terre en un instant ; que votre main s’abstienne de flatter imprudemment sa noble tête, ou un lambeau de votre chair risquera de rester entre ses dents. Voilà l’image des héros des Contes d’Espagne et, d’une manière plus générale, voilà l’image du jeune homme au début de la vie, avec la sincérité meurtrière de ses tendresses, ses cruautés inconscientes, la dangereuse spontanéité de ses sentimens, la redoutable franchise de ses actes, surtout son orgueil, le plus implacable qu’il y ait sous le soleil. Avez-vous jamais bien observé cet orgueil de la jeunesse, et n’avez-vous pas compris combien tous les autres orgueils, y compris celui qu’on a toujours reproché aux aristocraties, étaient faibles en comparaison ? Qui que vous soyez, quels que soient votre condition, vos