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son œuvre et remplir tous ses devoirs en jugeant sévèrement les auteurs de ces iniquités, car enfin, si la commission éprouve « une joie profonde à pouvoir hautement affirmer l’innocence d’un général français, » elle doit éprouver d’autres sentimens à l’égard de ceux qui ont fait tant de bruit pour rien.

À vrai dire, de cette enquête, inspirée ou imposée par des passions de parti, ce qui restera de plus clair, c’est peut-être ce qu’on ne cherchait pas, ce qu’on n’avait pas du moins en vue tout d’abord. « Au cours de ses recherches, dit le rapporteur, la commission a plus d’une fois été conduite à signaler des abus, à découvrir des pratiques fâcheuses, des vices administratifs qui peuvent et qui doivent fatalement avoir des conséquences regrettables… Elle a été amenée à constater des violations de la loi qui se reproduisent avec une regrettable régularité. » Ce n’est point là, sans doute, une découverte ; avant la commission nouvelle, cette habitude des pratiques discrétionnaires avait été plus d’une fois remarquée. Lorsque, il y a quelques années, une commission de la chambre préparait la loi sur l’administration de l’armée, cette commission voulait, elle aussi, s’éclairer sur la réalité des choses ; elle tenait à entendre des témoins de toute sorte, des généraux, des intendans, des administrateurs, et ces hommes, qui avaient l’autorité de leur position, d’une expérience de tous les jours, étaient les premiers à avouer que la loi était presque partout laissée de côté ou qu’elle était interprétée et appliquée d’une manière différente, selon les circonstances, selon les corps d’armée. Ils ne dissimulaient pas que c’était là une cause essentielle de confusion et de désordre, qu’on finissait par ne plus se reconnaître. Si on voulait examiner de près dans leur application toutes les lois de réorganisation militaire qui ont été faites depuis dix ans, sans parler des lois anciennes, il y aurait à constater certainement bien d’autres dérogations inexpliquées, bien d’autres irrégularités, et on s’apercevrait peut-être que, si quelques-unes de ces lois n’ont pas produit tout ce qu’on en attendait, c’est qu’elles ne sont pas respectées ou exécutées selon l’esprit qui les a inspirées. C’est là, il faut l’avouer, un mal qui ne date ni d’aujourd’hui, ni d’hier, ni d’un seul ministère, qui existe depuis longtemps, qui se perpétue à travers les ministères en s’aggravant quelquefois.

Le mal réel, il est dans l’habitude des interprétations discrétionnaires, favorisée par la mobilité des lois elles-mêmes, et lorsque la dernière commission d’enquête le signale, elle ne doit pas s’adresser au gouvernement seul, elle n’a qu’à s’adresser aussi à la chambre, qui souvent aide de son mieux à la confusion. On le voit en ce moment même ; on veut modifier la loi de recrutement, c’est une idée fixe ! M. le ministre de la guerre a présenté un projet de réforme partielle qui n’est pas à l’abri de toute contestation. Là-dessus survient une commission de la chambre qui du projet ministériel détache ce qui