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s’empresseraient de rejeter sur le marché américain les fonds qu’ils ont acquis. La dépréciation qui en résulterait aurait pour conséquence d’anéantir les réserves des établissemens de crédit, et les catastrophes commerciales se multiplieraient comme aux plus mauvais jours de la crise dont le pays venait seulement de sortir. Le Nord supporterait seul le poids de ces catastrophes, dont le Sud pouvait aisément faire bon marché. « Essentiellement agricole, le Sud, disait la brochure, emploie seulement 6.5 pour 100 du capital consacré à l’industrie,5.34 pour 100 des capitaux avancés par les banques,7 pour 100 du tonnage du cabotage, et 7.4 pour 100 du matériel de transport des chemins de fer. Il ne renferme probablement pas plus de 10 pour 100 des détenteurs de fonds publics. Il ne possède aucun établissement ni de crédit, ni de dépôts. Sur les 208,000 actionnaires des banques nationales, les anciens états à esclaves en comptent moins de 20,000. Ils ne comptent que 63,353 déposans des caisses d’épargne sur le chiffre total de 2,204,000, c’est-à-dire moins de 3 pour 100. » En présence de pareils faits et de pareils chiffres, le Nord agirait-il prudemment en remettant au Sud le soin de ses destinées? Telle était la question que les électeurs devaient se poser à eux-mêmes avant de voter.

Cette adresse, au bas de laquelle se lisaient les noms des chefs des maisons les plus anciennes et les plus considérables de New-York, ne pouvait manquer de produire un grand effet sur les classes commerçantes. Elle décida du vote de New-York et, par conséquent, de l’élection. New-York donna 20,000 voix de majorité à M. Garfield. Deux des cinq états douteux votèrent pour le général Hancock; le New-Jersey, grâce à l’influence du général Me Clellan, citoyen de cet état et qui en avait été tout récemment le gouverneur, et la Californie, grâce à la mise en circulation d’une lettre dans laquelle M. Garfield prenait la défense des ouvriers chinois et blâmait la persécution dont ils étaient l’objet. Cette lettre, qui était de nature à indisposer violemment les ouvriers californiens, était apocryphe; mais la fausseté n’en put être démontrée qu’après l’élection, lorsque cette manœuvre peu loyale avait produit son effet. Les 35 voix de New-York donnaient à M. Garfield 217 suffrages, c’est-à-dire 32 de plus que la majorité absolue : c’était donc au vote de ce grand état qu’il devait bien réellement son élection. Aussi quelques feuilles démocratiques de New-York, irritées d’un échec auquel elles ne s’étaient pas attendues, annoncèrent-elles que le résultat de l’élection ferait l’objet d’une protestation. Elles prétendaient que les comités démocratiques étaient en mesure de prouver que les républicains avaient fait voter de faux électeurs ; qu’ils avaient fourni des cartes électorales à des