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Amours du diable, mais cette situation, y songez-vous ? Elle a un nom proverbial, on l’appelle : « la croix de ma mère ! » N’importe, la Krauss prendra tout sur elle et d’un coup de son art poussera l’effet jusqu’aux étoiles.

Que servirait d’être une tragédienne lyrique d’un tel ordre s’il fallait toujours s’en remettre aux auteurs et toujours attendre l’occasion? Du côté de la pièce, une mère qui retrouve sa fille; du côté de la musique, une mélopée qui vous fait regretter le vieux récitatif classique et vers la fin une manière d’hymne patriotique empruntant son entrain au rythme rossinien, une Marseillaise de hasard; multipliez ces riens et tâchez d’en faire un total, c’est pourtant la tâche formidable que la Krauss s’était imposée, et sa démonstration reste ce qu’on peut voir de plus éclatant. Elle a remué, fouillé, compulsé ce vieux fatras, de tout ce poncif fait du sublime, taillant, construisant, rapiéçant et recomposant, insufflant son âme et son génie dans ce mannequin costumé transformé par elle en je ne sais quelle héroïne barbare des livres saints. M. Gounod se doutait-il seulement du chef-d’œuvre qu’il avait produit? Non certes, et le mouvement insolite auquel il s’est livré nous le prouve : un maestro plantant là l’orchestre qu’il dirige pour offrir par-dessus la rampe en plein public, en plein spectacle, des poignées de main à sa prima donna; voilà ce qui, du moins en France, ne s’était jamais rencontré; mais que voulez-vous? La surprise, l’éblouissement, l’immense joie de s’entendre acclamer par une salle entière à propos de ce que soi-même on supposait n’être qu’une besogne quelconque, est-il possible, en pareil cas, de ne point admettre les circonstances atténuantes? Honni soit donc qui mal y pense ! Que d’autres blâment et plaisantent, nous cédons quant à nous très volontiers à l’indulgence, pourvu qu’on nous accorde qu’après un tel exemple, il ne saurait plus être question de livrer l’orchestre de l’Opéra à la merci d’un compositeur irresponsable. Un homme comme M. Gounod ne reconnaît pas de chef hiérarchique; une fois monté au pupitre, il use à son gré de l’autorité qu’on lui délègue, et nul n’a sur lui droit de remontrance. Qui nous dit que le singulier épisode intercalé ce soir- !à dans la pièce ne se répétera pas et que ce qui fut une simple algarade ne deviendra point un scandale ? Un compositeur trouve bon de manifester coram populo son enthousiasme pour sa cantatrice, et tout de suite il arrête les violons sans tenir compte de ce que la parenthèse a de ridicule. Car cette cantatrice à laquelle il tend la main est tombée morte en terminait le morceau, et c’est le moment que choisit l’auteur pour la congratuler, comme s’il pouvait y avoir là devant ses yeux autre chose que le personnage d’Hermosa inanimée et dont c’est la plus grande injure qu’on puisse faire à une tragédienne que de venir déranger l’attitude! On ne se figure pas à quel point ces maladresses spontanées importunent