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elle engage des étrangers, de s’adresser à une seule nation en laquelle elle aura toute confiance; cela vaut mieux que de courir le risque de prendre çà et là des officiers qui en seraient plus ou moins dignes. »


V.

Le programme militaire du colonel Gordon ne nous paraît pas sans valeur, et il frappera par son côté pratique les hommes de guerre comme il a dû frapper l’esprit politique des ministres russes. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas cela qui eût empêché la Russie de faire la guerre pas plus que l’énumération que nous avons faite des forces chinoises. La Russie eût battu sur terre la Chine à plate couture et elle l’eût ruinée par-dessus le marché en bloquant ses ports. Mais, sans parler de la question d’Orient, toujours à trancher, la Russie, comme nous l’avons dit au début de cette étude, a déjà beaucoup à faire dans l’Asie-Centrale. Les bulletins du brillant et brave général Skobeleff nous l’ont plus que suffisamment appris.

La Russie, — bien qu’en droit d’exiger par la force l’exécution du traité de Livadia, — la Russie, disons-nous, donna sagement à entendre qu’elle prêterait encore l’oreille à de nouvelles propositions. La Chine, de son côté, se prêta à un nouvel arrangement; mais se défiant désormais de ses ambassadeurs, elle demanda instamment que les nouvelles négociations eussent lieu dans sa capitale. Son adversaire s’y étant refusé, le marquis de Tseng, ambassadeur de Chine à Paris et à Londres, reçut l’ordre de partir pour Saint-Pétersbourg. L’excellence chinoise s’y est rendue assurément à contre-cœur et en se promettant sans doute d’éviter le sort de son prédécesseur. Aujourd’hui, le traité de Livadia a été déchiré; un nouveau traité est en vigueur, et on peut croire ce dernier définitif, du moins pour quelque temps, puisque le négociateur n’aura rien accordé, rien signé sans en avoir au préalable donné avis à son gouvernement. La télégraphie électrique a été pour l’ambassadeur chinois d’un grand secours, et ce sera de l’ingratitude s’il n’en recommande pas l’emploi chez ses compatriotes. Aujourd’hui encore, l’électricité s’arrête aux frontières du Céleste-Empire.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir pu pénétrer bien avant dans les chancelleries russe et chinoise, les mieux gardées du monde, et cependant nous affirmons l’exactitude de ce que nous allons communiquer au lecteur.