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exaspérés qu’en les quittant il crut devoir leur laisser un mémoire dont nous allons donner un résumé.

« La Chine, dit le colonel Gordon dans ce travail, possède depuis des siècles une organisation militaire à laquelle il ne faut rien changer parce qu’elle répond aux aptitudes de la race. C’est dans le nombre qu’est la force de la nation. Quelle que soit la supériorité militaire de l’ennemi, il doit finir par succomber... Ne jamais engager de batailles rangées où la supériorité des armemens et de la stratégie de l’ennemi pourrait infliger des désastres. Il faut le harceler sans cesse, l’attaquer de jour dans ses marches et la nuit dans ses haltes, couper ses convois, enlever ses positions. Au moyen de quelques pièces à longue portée et légères, envoyer des projectiles dans ses camps, se retirer s’il avance : les alertes incessantes, les privations viennent à bout des meilleures troupes. Or, tandis que le soldat européen plie sous le poids des vêtemens, des munitions et des armes, le Chinois devra, par la légèreté de son accoutrement, sa sobriété sans égale, fatiguer un ennemi bien inférieur en nombre. Pour cela, il est inutile d’avoir une artillerie coûteuse et peu pratique lorsqu’on n’a pas de nombreuses routes suffisamment entretenues; les fusils devront être à tir rapide, mais très simple, d’un modèle uniforme et de construction solide. Leur portée à 1,000 mètres est suffisante... Les signaux et communications devront être entretenus au moyen d’héliographes... Il y a lieu de continuer les forts en terre et de faire instruire des corps de troupe dans l’art de pratiquer des tranchées pour l’approche des places. Si l’ennemi ouvre une brèche et donne l’assaut, ne pas résister, s’enfuir...

« Pour la défense des côtes et des passes, des mortiers peu coûteux sont préférables aux grandes pièces de siège, dont les prix sont énormes et qui ne sont pas efficaces contre certains cuirassés. Ne pas essayer l’emploi des torpilles perfectionnées, dont le prix considérable rendrait le nombre insignifiant sur une vaste étendue de côtes comme celle dont la Chine est dotée; multiplier, au contraire, de très simples appareils ; l’appréhension de l’ennemi sera beaucoup plus considérable et la chance de le détruire plus grande. Les forces navales devront être constituées sur les mêmes principes. Les grands cuirassés coûtent des sommes énormes et rendraient peu de services. Il faut des avisos rapides, tirant peu d’eau et dont le blindage ne sera pas considérable... Aussi longtemps que Pékin sera capitale, la Chine ne peut lutter contre un état de première classe ; cette ville est trop près de la mer. La reine doit être au centre de la ruche... La Chine peut, sans l’assistance d’un officier étranger de haut rang, exécuter ce programme ; il est préférable, si