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III.

La Dzungarie demeura soumise à la Chine jusqu’en 1862, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où les Dounganes et les Taranchis s’unirent à leurs coreligionnaires du Yunnan, du Kansu et du Shensi pour proclamer leur indépendance. Si l’on s’en souvient, ces musulmans avaient été conduits en Dzungarie vers le milieu du XVIIIe siècle, à l’époque où la Chine venait de reconquérir l’Asie-Centrale et fait périr, selon sa coutume invariable, tous ceux qui s’étaient révoltés contre elle. Taranchis et Dounganes eussent été probablement plus heureux que leurs coreligionnaires du Yunnan si la division ne s’était mise dans leurs rangs. Au lieu de s’unir pour battre l’ennemi commun, les Chinois, ils se battirent entre eux, et les Taranchis, plus nombreux que leurs adversaires, eurent la triste gloire de vaincre leurs frères en Mahomet.

La Russie, inquiète de son côté de voir à Kashgar un mahométan favori des Anglais, le célèbre Yacoub-Khan, créer un empire, déployer contre les généraux célestes des qualités militaires redoutables, résolut d’entrer en lice. Elle offrit complaisamment à la Chine sa voisine, impuissante à réprimer seule tant de rébellions, d’occuper le Kouldja, de s’installer dans les places fortes et d’y faire la police jusqu’au jour où, victorieuse de ses ennemis, cette même Chine demanderait à reprendre son bien. Celle-ci a vaincu, et c’est précisément à l’occasion de cette restitution et des frais qu’elle a occasionnés que la guerre a failli éclater entre les deux puissances.

Voyons ce qu’est le Kouldja; sa description fera tout de suite comprendre l’avantage que la Russie avait à le garder, et les sacrifices énormes en argent et en territoire que la Chine semble disposée à faire, bien à contre-cœur assurément, pour en rester encore une fois maîtresse. Le territoire qui compose le district de Kouldja est, de l’Asie-Centrale, le seul point fertile où l’homme puisse facilement vivre des produits du sol. Le climat y est doux et tempéré, exempt des grandes variations auxquelles on pourrait s’attendre par suite de la position du Kouldja, au centre de l’Asie. La température moyenne, dans le cours d’une année, est de 10 degrés centigrades; en hiver, c’est-à-dire en janvier, qui est le mois le plus froid de l’année, la moyenne est très près de 2 degrés au-dessus de zéro. Il y souffle un vent très sec, venant brusquement et d’une façon parfois prolongée des bords arides du lac Balkhash. On ne peut mieux le comparer qu’au mistral de notre Provence. Comme la pluie est rare, les Chinois, sans rivaux dans l’art des irrigations.