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sera changée. Le mot, le titre viendront... quand ils viendront, cela m’importe peu ; mais ce que vous dites ne pas vouloir, si l’assemblée cède, vous l’aurez aujourd’hui même. Il n’y a plus qu’un pouvoir, je le répète, le mot viendra quand on voudra... l’empire est fait!.. »

Le mot était dit, il divulguait le secret de la situation. Seulement la révocation d’un chef militaire n’apparaissait que comme un signe de plus : c’était depuis deux ans que l’empire se faisait, et on s’y prenait un peu tard pour l’arrêter au passage après l’avoir préparé par une politique de réaction, de condescendance pour le pouvoir, qu’on croyait nécessaire sans doute, dont on ne pouvait cependant se dissimuler les redoutables conséquences. Quelle efficacité pouvait avoir une protestation tardive? Quelle était la sanction de ce débat parlementaire qui ressemblait à une mise en accusation du chef de l’état? L’assemblée, réveillée par une parole retentissante, se donnait, il est vrai, la satisfaction de voter un ordre du jour contre le ministère qui avait signé la destitution du général Changarnier. Le ministère disparaissait, — la destitution de Changarnier ne subsistait pas moins. Le président avait ce qu’il voulait ; il avait conquis sa liberté et il avait réussi à diviser la majorité, dont une partie avait refusé de s’associer à une manifestation d’hostilité contre lui. C’était tout au plus une trêve, non une solution. Peut-être, à la vérité, y aurait-il eu encore un moyen de détourner ou d’atténuer la violence des événemens en faisant la part de ce qui semblait déjà inévitable; peut-être ce dernier moyen eût-il été une révision régulière de la constitution permettant une réélection du président, une prorogation de pouvoir dont on aurait gardé le droit de fixer le caractère et les limites. Le pays, par les conseils-généraux, par des pétitions nombreuses, se montrait favorable à une réforme constitutionnelle; des hommes prudens et réfléchis de l’assemblée, M. de Broglie, M. de Tocqueville, M. Odilon Barrot, croyaient que cela valait encore mieux que de courir les chances de l’inconnu, de s’exposer à une sorte de coup d’état spontané du pays par la réélection illégale du président. La majorité, par des raisons diverses, était après tout acquise à la révision; mais la constitution avait d’avance créé une impossibilité en exigeant pour le vote le chiffre des trois quarts des voix de l’assemblée. Il suffisait, pour tout empêcher, d’une coalition de scrutin entre ceux qui repoussaient la révision parce qu’ils y voyaient une menace pour la république et ceux qui, surtout depuis l’affaire du général Changarnier, avaient pris pour mot d’ordre de n’accorder au président « ni un jour ni un écu de plus. » De sorte, que de propos délibéré, on s’enlevait le dernier expédient de transaction, on s’enfermait sans espoir, sans issue possible, dans une constitution