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pouvaient, de nouvelles crises par la reconstitution d’un gouvernement de préservation. Il n’est pas moins certain que ces habiles politiques, à la tête desquels marchait M. Thiers, avaient parfois, eux aussi, leurs passions, qu’ils n’étaient pas toujours prévoyans dans leur campagne de réaction et qu’ils s’exposaient à d’étranges mécomptes. Ils croyaient sans doute suffire aux plus impérieuses nécessités en multipliant les lois sur la presse, sur les clubs, sur les réunions, en donnant au gouvernement à titre plus ou moins provisoire le droit de nommer et de changer les maires, de révoquer les instituteurs, de créer de grands commandemens militaires ; ils se montraient toujours prêts à tout accorder ou à tout absoudre dès qu’il s’agissait de la guerre à la démagogie. En réalité, ils armaient de toutes pièces un pouvoir dont ils se défiaient. Leur illusion était de croire que les armes qu’ils créaient ne serviraient que contre leurs adversaires, que Louis-Napoléon ne pourrait rien contre eux ni sans eux, qu’avec la majorité parlementaire dont ils disposaient, ils resteraient maîtres de la situation. Ce n’est pas tout, les conservateurs de l’assemblée étaient d’abord restés unis entre eux et alliés avec le président pour le combat ; ils l’étaient encore dans les momens difficiles, ils gardaient du moins à demi le secret de leurs préférences. C’était leur force! Le premier danger passé, ils commençaient bientôt à se retrouver, eux aussi, tels qu’ils étaient, avec leurs souvenirs, leurs attachemens et même leurs espérances monarchiques. Ils relevaient leur drapeau. Des légitimistes, représentans du peuple ou autres, allaient avec fracas au rendez-vous que le comte de Chambord leur avait donné à Wiesbaden, et là sans se cacher, on débattait les conditions d’une prochaine restauration. Des partisans de la monarchie de juillet se rendaient en Angleterre, à Claremont auprès du roi Louis-Philippe, les uns plaidant la cause de la réconciliation des dynasties, les autres rêvant la candidature de M. le prince de Joinville à la présidence de la république. M. Thiers lui-même allait porter ses derniers hommages au vieux roi à son lit de mort. Il ne conspirait pas assurément, il avait même eu le soin d’annoncer son voyage à l’Elysée pour prévenir toutes les interprétations ; mais il se trouvait mêlé à cette recrudescence de démonstrations monarchiques éclatant comme le dernier mot des réactions du moment.

Ces imprudens partisans de toutes les royautés se hâtaient un peu trop de divulguer leur secret. Ils se flattaient trop de pouvoir tenir tête à tous les dangers, à tous les ennemis, et par une imprudence ou une illusion de plus, ils laissaient trop voir qu’à tout événement ils croyaient avoir pour eux un soldat éminent, le général Changarnier, qu’ils opposaient à l’Elysée en même temps qu’aux