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déclare immédiatement. Il a des décrets tout prêts pour demander deux cent cinquante mille hommes et 200 millions. Je n’ai qu’à lui répéter vos derniers mots, les décrets seront présentés demain à l’assemblée. » À cette brusque révélation, M. de Hübner, un peu abasourdi, se récriait, protestant que l’Autriche ne désirait pas la guerre, surtout avec la France. « Alors, répliquait M. Thiers, pourquoi en parler? Pourquoi nous menacer de mesures que vous savez ne pas devoir réaliser? Pourquoi annoncer l’intention d’écraser le Piémont lorsque vous savez qu’il est sous notre protection? »

On en revenait bientôt à une simple question d’indemnité de guerre à traiter diplomatiquement entre Vienne et Turin, et le fait est que, mêlé de près à cette négociation, suppléant à tout titre officiel par ses relations, par son crédit et son autorité personnelle, M. Thiers, plus que tout autre, contribuait à adoucir le poids de la défaite pour le Piémont, à sauvegarder la paix. Il ne réussissait pas également, il est vrai, à empêcher le président d’écrire à un aide de camp, au colonel Edgar Ney, au sujet de l’expédition de Rome une lettre toute napoléonienne qui ressemblait à un motu proprio de l’Elysée opposé à un motu proprio du pape; il n’avait connu la lettre qu’avec tout le monde, il en parlait sans ménagement dans une conversation avec le président et il affectait de la passer sous silence dans un rapport qu’il avait été chargé de faire devant l’assemblée sur l’expédition de Rome.

M. Thiers intervenait dans ces affaires d’Italie comme il intervenait dans une autre affaire qui, à cette époque, mettait un moment la paix en péril ; c’était la question des chefs de l’insurrection hongroise qui avaient cherché asile en Turquie et que l’empereur Nicolas, allié de l’Autriche, réclamait à Constantinople avec une hauteur menaçante. Le sultan avait refusé de livrer ses hôtes, l’Angleterre appuyait la Porte dans sa résistance, et lord Palmerston avait déjà décidé le gouvernement français à soutenir la Turquie par une démonstration navale dans les Dardanelles. Un pas de plus, c’était évidemment la guerre : à la première apparition des vaisseaux anglais et français les Russes auraient répondu par l’invasion de l’empire ottoman, d’autant plus que l’empereur Nicolas était alors dans toute l’infatuation de sa puissance. La paix qu’on croyait sauvée du côté de l’Italie se trouvait menacée vers l’Orient. M. Thiers, informé un des premiers de la gravité de la situation, pressé par M. Molé, se mettait aussitôt à l’œuvre. « Comme toujours quand il y avait quelque besogne risquée, je fus chargé de l’affaire, a-t-il dit plus tard... Ce jour-là je dînai avec le président et Normanby. Leur but était visiblement d’avoir mon approbation. Normanby m’en dit quelque chose avant le dîner. J’étais profondément dégoûté de cette affaire et je lui répondis assez rudement. Il y revint au salon,