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dans l’assemblée constituante, plus décidée dans l’assemblée législative, pût aller fort loin, et que dans le feu de ces luttes M. Thiers lui-même fût exposé quelquefois à paraître avoir changé de camp, de position, d’opinions, c’est possible. M. Thiers n’en disconvenait pas. S’il avait changé dans une certaine mesure, un peu moins peut-être qu’on ne le disait cependant, c’est que tout avait changé autour de lui. C’est la révolution de février qui, en ouvrant une immense crise sociale, avait eu ce résultat de faire de cette nécessité de la résistance une politique et qui à cette politique avait donné d’un seul coup une armée avec des chefs, adversaires ou émules de la veille devenus des alliés du lendemain. C’est le danger qui avait jeté dans un même camp libéraux et catholiques, constitutionnels de 1830 et légitimistes, M. Thiers et M. de Montalembert, M. Molé et M. Berryer, M. de Broglie et M. de Falloux, M. Odilon Barrot et le général Changarnier pour marcher ensemble à ce qu’ils appelaient « une guerre du bien public. » C’était la guerre avec ses entraînemens, et si au courant de ces années il y a des momens où cette guerre semble arrivée à son plus haut degré d’intensité, c’est surtout dans deux circonstances, dans deux affaires décisives, la réforme de l’enseignement par la loi du 15 mars 1850 et la réforme ou la réorganisation du suffrage universel par la loi du 31 mai. C’est le point culminant de la réaction parlementaire pour la république de 1848.

Eh! sans doute M. Thiers était revenu à d’autres idées sur ce premier point de l’enseignement libre, lui le vieux partisan des droits exclusifs de l’état dans l’éducation. Il avait changé, d’abord parce que la constitution même faite par les républicains avait tranché la question qui divisait depuis longtemps l’université et l’église en proclamant la liberté de l’enseignement pour tout le monde sous la simple réserve de la surveillance de l’état et de certaines conditions de moralité et de capacité. C’était décidé, les républicains l’avaient voulu, il n’y avait plus à rétracter une promesse, une liberté inscrite dans la constitution. M. Thiers avait changé aussi, c’est bien certain, par la raison politique qui inspirait tous ses actes, parce qu’il était profondément, passionnément convaincu que la société « malade » avait besoin désormais de la liberté des influences religieuses ou plutôt de toutes les forces morales, de la force de l’église aussi bien que de la force de l’université. Il n’avait pas attendu l’aggravation de la crise républicaine pour le croire et pour le dire. Dès le mois de mai v1848, il avait écrit à un ancien ami, M. Madier de Montjau, le père du député d’aujourd’hui : « Quant à la liberté de l’enseignement, je suis changé! Je le suis non par une révolution dans mes convictions, mais par une révolution dans l’état social... Je ne vois de salut que dans la liberté de l’enseignement...