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PINDARE.

représentée à Olympie ou à Delphes, y trouvait pour quelques jours cette union que lui refusait la politique ; elle s’unissait dans le sentiment commun de jouissance que lui causaient ces exhibitions de force, d’adresse, de beauté corporelle, de toutes ces qualités savamment développées qu’elle regardait comme un signe de race. Le vainqueur qu’on acclamait était un vrai fils de la Grèce ; et quand à la suite de son nom retentissait prononcé par le héraut celui de sa patrie, sur elle rejaillissait une gloire panhellénique. Aussi quel accueil elle lui faisait à son retour ! Souvent son entrée dans sa ville natale était un triomphe. Il s’avançait sur un char, escorté de ses parens et de ses amis. Plutarque nous dit que, dans certains cas, il avait le droit de faire abattre un pan de muraille, comme un conquérant. On se rendait ensuite en grande pompe au temple, où il suspendait la couronne. Même quand, à la suite du sacrifice, le festin magnifique qu’accompagnaient les sons de la lyre et les chants du chœur avait lieu dans une demeure particulière, la fête n’avait pas un caractère privé ; c’était une fête patriotique, car elle était donnée aussi en l’honneur des ancêtres, qui, mêlés à l’histoire et aux origines mythologiques de la ville et antiques dépositaires de ses destinées, en étaient restés les illustres patrons.

Quelle était la poésie qui convenait à de pareilles circonstances ? Répondre à cette question, c’est définir la poésie de Pindare. Ces mâles harmonies, cette langue sonore, ce flot étincelant d’images, c’est l’expression même, poétique et musicale, de la solennité qu’on célèbre. Et ces brillantes apparitions de figures héroïques, ces légendes brusquement coupées par des réflexions sur la condition humaine et des allusions au présent, cette abondance d’idées qui se pressent, cette éblouissante mobilité de la Muse, n’est-ce pas précisément ce que demande un pareil jour ? Il faut alors aux Grecs un état d’excitation à chaque instant renouvelé par la succession rapide de vives impressions. Cette fête des oreilles et de l’imagination, Pindare la leur donne, et c’est pour cela qu’ils le jugent le premier des lyriques. Nous nous plaignons qu’il manque de tendresse et de suite : ils ne songeaient pas à s’en plaindre, ils avaient tout ce qu’il leur fallait.

Ces observations indiquent quels doivent être les principaux objets d’une étude sur Pindare. Ils se ramènent à deux questions générales : la matière morale et religieuse et l’art. C’est précisément la division adoptée par M. Croiset dans la seconde partie de son ouvrage. Nous ne le suivrons pas dans tous ses riches et substantiels développemens ; nous nous bornerons à détacher quelques points qui nous paraissent devoir être plus nouveaux pour le public.

tome xliv. — 1881.51